Aphatie mis "en retrait" par RTL après ses propos sur l'Algérie et Oradour

Pauline Bock - - Scandales à retardement - 159 commentaires

L'éditorialiste n'a pas participé à "RTL Matin" ce 5 mars mais devrait être de retour la semaine prochaine

Le 25 février sur RTL, Jean-Michel Aphatie a déclaré que la France avait "fait des centaines" de massacres de villages comme Oradour-sur-Glane durant la conquête de l'Algérie. Des propos dont la base factuelle a ensuite été confirmée par de nombreux historien·nes. Pour éteindre la polémique enflée par la droite, RTL a choisi de "mettre en retrait de l'antenne" le chroniqueur dans l'émission du 5 mars et de lire un texte d'explication. Aphatie réagit auprès d'"Arrêt sur images".

Jean-Michel Aphatie n'a jamais eu sa langue dans sa poche. Le 25 février, il a lancé un pavé dans la mare médiatique en comparant des massacres perpétrés par l'armée nazie dans la France occupée et par l'armée française en Algérie. Une comparaison qui a provoqué "beaucoup d'émotion", note-t-il auprès d'Arrêt sur images. Et qui a mené la direction de RTL à le mettre "en retrait de l'antenne" de RTL Matin, ce mercredi 5 mars.

Jean-Michel Aphatie compare les massacres français en Algérie avec celui d'Oradour-sur-Glane

Dans la matinale de RTL, RTL Matin, le 25 février, Jean-Michel Aphatie, en plein débat sur les relations diplomatiques entre la France et l'Algérie, déclare que si celles-ci sont tendues, c'est peut-être aussi "parce qu'on les a massacrés [les Algériens], parce qu'on l'a jamais reconnu", et que les relations seraient peut-être différentes "si la France présentait des excuses pour 130 ans de massacres, de meurtres, de paupérisation d'un peuple, d'une violence incroyable… 130 ans d'occupation !" Il souligne d'emblée que l'Algérie actuelle est "un régime dictatorial", et ajoute : "Mais ce que nous avons fait nous en Algérie… Vous savez chaque année en France, on commémore ce qui s'est passé à Oradour-sur-Glane, c'est-à-dire le massacre de tout un village. Mais on en a fait des centaines, nous, en Algérie. Est-ce qu'on en a conscience ?" Thomas Sotto s'écrie : "Mais on n'a pas fait Ouradour-sur-Glane en Algérie." Et il interroge Aphatie : "On s'est comportés comme des nazis en Algérie ?" Qui répond sans se démonter : "Combien de villages ont été massacrés ? Combien de femmes, combien d'enfants ? Les nazis n'existaient pas. On ne s'est pas comportés comme des nazis. Les nazis se sont comportés comme nous, nous l'avons fait en Algérie."

Florence Portelli, invitée de RTL Matin, s'offusque de ces propos qu'elle considère être "une insulte au peuple français" : "Comparer ça au nazisme… Comparer Oradour-sur-Glane… Les femmes et les enfants ont tous été mis dans une Église et ont tous été brûlés. Les hommes ont été mitraillés…" Jean-Michel Aphatie lui répond avec des faits. "Nous, ce que nous ce que nous avons fait, c'est que les villageois algériens se réfugiaient dans des grottes. On a muré les grottes. On a mis du bois dans les grottes. On a allumé du feu et on les a asphyxiés." Il poursuit : "Vous avez en 1845 un débat au Sénat en France sur les massacres que commet l'armée française en Algérie. Il y a une campagne de presse européenne tellement les Européens sont affolés par la violence de l'armée française." Florence Portelli accuse ensuite Jean-Michel Aphatie de "cautionner une propagande distillée par le régime algérien". Aphatie dément - il a d'ailleurs commencé son propos en le condamnant. Et le répète plus tard dans l'interview. 

Mais cela n'a pas empêché des élus de droite et d'extrême droite de dénoncer - et, pour certains, de nier - ses propos sur l'armée française en Algérie et de publier des réactions outrées. Eric Ciotti a ainsi demandé à l'Arcom de "réagir à de tels propos", accusant Aphatie d'avoir "insulté la France". (Eric Ciotti, qui souhaite par ailleurs supprimer le régulateur, comme l'a bien noté Libération). L'Arcom a indiqué le 26 février avoir "ouvert une instruction" après les déclarations d'Aphatie sur RTL.

Pas de chronique d'Aphatie ce 5 mars sur RTL, mais quelques phrases d'explications sur son "retrait"

En réponse à ce qui a été médiatiquement qualifié de "propos polémiques", la direction de RTL a fait le choix de "mettre en retrait" son chroniqueur Jean-Michel Aphatie pour l'émission du mercredi 5 mars, a déclaré Thomas Sotto ce 5 mars, à l'antenne de RTL Matin, juste après 9 heures"D'habitude, le mercredi, Jean-Michel Aphatie est avec nous pour débattre. Ce matin, Jean-Michel n'est pas là. En effet, mardi dernier, lors d'un débat face à vous, Florence Portelli, Jean-Michel a effectué un parallèle entre certains actes commis pendant la colonisation de l'Algérie et des crimes nazis. Une comparaison que la direction considère inappropriée et qui a choqué beaucoup, beaucoup d'entre vous."

Amandine Bégot poursuit : "Jean-Michel ne souhaitant ni s'excuser, ni revenir sur ses propos, ce qui est son droit, la direction de RTL lui a donc demandé de se tenir, ce matin, en retrait de l'antenne." Elle conclut :  "Voilà qui est dit, 9 h 22, place au débat."

Méthode "Fair-play" selon Aphatie

Auprès d'Arrêt sur images, Jean-Michel Aphatie confirme qu'il s'agit d'une décision prise par RTL, qui l'a prévenu en amont, dès lundi sur la décision, et mardi sur les quelques lignes qui seraient lues à l'antenne. Très tranquille, il nous explique ne pas être "meurtri, ni choqué" par la décision de la chaîne, dont il estime l'attitude "positive" : "Ce n'est pas un texte qui dit que je raconte n'importe quoi, ce n'est pas un texte qui est humiliant pour moi. Dire «c'est son droit» me paraît être important, parce que respectueux de mon propos."

Il y voit "une méthode et un contenu plutôt fair-play", dans un moment qui n'a pas été simple à gérer pour la chaîne, dit-il : "Tout ce passage a suscité beaucoup de réactions, d'émotions, de désaccords. Ça n'était pas voulu, mais c'est devenu un moment d'antenne particulier. RTL, qui est diffuseur, doit gérer ça, et je trouve qu'ils l'ont géré avec beaucoup de compréhension et d'intelligence." Il souligne que la radio ne l'a "pas mis à la porte" : "Normalement, j'y serai mercredi prochain."

Jean-Michel Aphatie a raison

La direction de RTL a beau qualifier la comparaison d'Aphatie "inappropriée", et celle-ci a beau avoir "choqué" beaucoup d'auditeur·ices de RTL, elle n'en est pas moins vraie. De nombreux historien·nes l'ont d'ailleurs rappelé dans les médias, tout de suite après la diffusion le 25 février.

Dans l'Opinion, le 26 février, à la question "Jean-Michel Aphatie a-t-il raison ?", Alain Ruscio, historien et auteur de l'ouvrage La Première Guerre d'Algérie (ed. La Découverte, 2024), répond : "Tous les historiens qui ont travaillé sur le sujet le savent bien et nul ne conteste les faits bruts, sinon les polémistes comme Eric Zemmour. Le passif est lourd." Il nuance seulement en considérant que "ce n'est pas la peine, pour autant, de se livrer à des excès verbaux, en comparant avec les nazis", puisque les soldats français "pouvaient se référer aux massacres de la colonisation allemande en Namibie"

Dans le Nouvel Obs, le 27 février, l'historienne Sylvie Thenault, spécialiste de la colonisation, explique que "si, historiquement, la comparaison est discutable" car "il n'existe pas d'équivalent strict où des civils auraient été rassemblés et exécutés en masse comme à Oradour-sur-Glane", Jean-Michel Aphatie n'a pas tort sur le fond : "L'armée française a mené une guerre contre la population algérienne elle-même, et pas seulement contre le FLN, en s'appuyant sur une stratégie de terreur collective".

Elle complète. "Cela passe par l'action psychologique, mais aussi par des violences systématiques : viols, perquisitions brutales, tortures, exécutions sommaires. Et pendant la guerre d'Algérie, l'armée française exerce ces violences sur la population civile : sur des femmes, sur des enfants, sur des personnes âgées, dans des villages." Sylvie Thenault ajoute que "l'armée française a aussi utilisé des armes chimiques pour déloger des combattants réfugiés dans des grottes mais ces armes ont aussi été utilisées dans le cas où des populations civiles s'étaient réfugiées dans ces mêmes endroits". Elle conclut donc que "si la comparaison avec Oradour-sur-Glane n'est pas exacte, elle renvoie bien à une réalité : des violences massives ont été exercées sur la population civile algérienne"

Le 26 février, une analyse de la rubrique CheckNews de Libération souligne par ailleurs que "Jean-Michel Aphatie n'est pas le premier à faire ce parallèle". Le journal interroge l'historien Benjamin Stora, qui "insiste d'emblée sur «l'extrême violence» de «l'armée française» qui «a utilisé la méthode des colonnes infernales» à partir de 1840 en Algérie". Stora, note Libération, "tient au passage à souligner un «immense mérite» de Jean-Michel Aphatie, même s'il remet en question le parallèle avec le nazisme"Le podcast sur l'histoire de la colonisation Histoires Crépues, qui consacre aux propos d'Aphatie un épisode entier le 2 mars, rappelle que "bien avant Jean-Michel Aphatie, des militants anticolonialistes comme René Vautier et Aimé Césaire avaient déjà fait la comparaison". Le site Histoire Coloniale a quant à lui choisi de citer plusieurs extraits de l'ouvrage du l'historien Alain Ruscio, La première guerre d'Algérie, qui "permet d'affirmer qu'il y eut maints et maints assauts de villages qui se sont achevés dans le sang, parfois, par l'extermination de populations entières".

Après ce moment de radio, au-delà de la "polémique", Jean-Michel Aphatie se réjouit auprès d'ASI qu'il y ait "quelque chose qui a été acquis, après ce passage" : "Beaucoup d'historiens ont pris la parole après, et aucun n'a dit : «Il raconte n'importe quoi»." Il observe "un tabou sur tous ces événements anciens, dont on ne veut pas entendre parler", et accueille bien volontiers les remous que suscitent ses propos s'ils permettent de briser ce tabou. "Des propos sur la présence française en Algérie, j'en ai eu plein, ces dernières années, qui n'ont rien suscité", dit Aphatie. "Là, il rencontre un écho, qui est critiqué, d'accord, mais aussi approuvé par des experts. C'est une forme d'avancée. Je trouve que la séquence est plutôt positive, au total."

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