Anticiper les accusations : la stratégie Hulot

Paul Aveline - - 34 commentaires

"Arrêt sur images" a interviewé journalistes et chercheuses ayant enquêté sur les accusations de violences sexuelles visant Nicolas Hulot. Toutes et tous racontent les coups de téléphone anticipés de la star écologiste, ministre pendant 15 mois, tentant de ralentir ou d'empêcher les enquêtes le concernant. Hulot a utilisé cette technique d'anticipation cette semaine pour tenter d'enrayer les révélations d'"Envoyé spécial". Comme en 2018, contre "Ebdo".

La stratégie est désormais estampillée "Nicolas Hulot". De nouveau mis en cause dans de nombreuses accusations de violences sexuelles, l'ancien ministre de la Transition écologique a choisi de prendre les devants, comme il a coutume de le faire en appelant les journalistes dès qu'il sent qu'une enquête se prépare sur lui. Il est 11 h, ce 24 novembre, quand Bruce Toussaint reçoit Nicolas Hulot, président d'honneur de la fondation qui porte son nom, sur le plateau de BFMTV. "En venant ici, vous devancez la diffusion d'une enquête de nos confrères de France 2, et plus précisément du magazine Envoyé Spécial, explique Toussaint. Les journalistes de cette émission ont recueilli des témoignages de femmes qui vous accusent d'agressions sexuelles, de tentative d'agression, de harcèlement sexuel." 

Si la formule est vague – Nicolas Hulot est également accusé de viol – c'est que ni Toussaint ni Hulot n'ont vu le documentaire de France 2, signé de la journaliste Virginie Vilar, finalement diffusé le lendemain de l'interview. Bruce Toussaint ne le dit pas. France 2 a pourtant proposé à Nicolas Hulot, comme Hulot le dit lui-même, de visionner l'enquête puis d'y répondre, mais ce dernier a refusé. Aucune projection presse n'a été en revanche organisée, France 2 préférant garder le secret jusqu'au dernier moment sur le contenu des témoignages. Pour justifier cette interview anticipée, Toussaint prend les devants : "Nous avons accepté de vous recevoir, parce que je vais dans un instant pouvoir vous poser absolument toutes les questions. Il n'y a pas de conditions à votre venue, ce matin, sur BFMTV." L'interview s'étend sur 38 minutes. 

Hulot nie en bloc 

Face à Bruce Toussaint, qui lui demande à plusieurs reprises s'il n'a "jamais agressé sexuellement une femme, jamais violé, jamais harcelé ?", Nicolas Hulot nie tous les faits qui lui sont reprochés... dont, encore une fois, la nature précise n'est pas connue à ce moment-là : "Je veux le dire sans formule, sans élément de langage : ni de près ou de loin, je n’ai commis ces actes. Ces affirmations sont purement mensongères". Dans sa défense, Nicolas Hulot ironise même sur son physique, estimant ne pas avoir besoin d'agresser pour séduire : "Je sais que j'ai un physique très ingrat et que donc seule la contrainte me permet de vivre des histoires d'amour." 

Poussé plusieurs fois par Bruce Toussaint, qui l'interroge sur son passé, son rapport aux femmes, les limites qu'il aurait pu franchir, Hulot ne dévie jamais de sa ligne, mais s'estime déjà "condamné" et "frappé du sceau de l'infamie". Même s'il n'a pas vu le reportage de France 2, Nicolas Hulot évoque plusieurs fois le contenu de celui-ci, tout en affirmant qu'il en "ignore tout"Il évoque pourtant, clairement, deux affaires. Et pour cause : dans Envoyé Spécial le lendemain, Élise Lucet confirmera, documents à l'appui, que les avocats de Nicolas Hulot ont été informés en détails des révélations à venir. Seules les identités des femmes qui témoignent n'ont pas été communiquées, pour protéger le secret des sources. Contrairement à ce qu'il affirme, Nicolas Hulot sait donc précisément de quoi il est accusé au moment de prendre la parole sur BFMTV. Et depuis plusieurs jours. 

France 2 tient la barre

Alors que Nicolas Hulot mène une charge virulente contre Envoyé Spécial, accusant à demi-mot les journalistes d'avoir "arraché" des témoignages contre lui, à France 2, le bateau ne tangue pas. La diffusion, prévue le lendemain, est maintenue. Selon nos informations, la présidente de France Télévisions Delphine Ernotte a assuré ses équipes de son soutien, et affirmé qu'elle "assumait tout" le contenu de l'enquête. Toujours selon nos informations, Nicolas Hulot l'aurait appelée en personne pour se plaindre du travail d'Envoyé Spécial et tenter une dernière fois de la dissuader de le diffuser. Un avertissement qu'Hulot a répété face à Bruce Toussaint : "Je dis ici, et notamment à Delphine Ernotte, la PDG de France Télévisions, pesez bien les conséquences irréversibles que cette émission, dans une chaîne de service public mais peut-être de sévices publics... Pesez bien les conséquences sur un homme, une réputation, avant même que l'on ait pu établir les faits."

L'enquête, diffusée ce jeudi 25 novembre, est accablante. Trois femmes, dont deux à visage découvert, témoignent. La première, Sylvia, avait 16 ans au moment des faits, en 1989. Elle est invitée par Hulot à venir assister à l'enregistrement de son émission d'alors, Antipodes, sur France Inter. Dans la voiture, il lui demande un baiser "dans le cou". Arrivé sur un parking, Hulot aurait pris la main de Sylvia pour la poser sur son sexe, sorti de son pantalon. Il aurait ensuite demandé à l'adolescente de lui faire une fellation. Apeurée, la jeune fille affirme lui avoir "embrassé le bas du ventre" pour s'en sortir.

Cécile, qui travaille à l'ambassade française de Moscou en 1998, raconte que Nicolas Hulot l'aurait agressée dans un taxi. Après avoir posé sa main sur sa cuisse, ses seins et son entrejambe, l'animateur se serait jeté sur elle alors qu'elle se débattait. Une troisième femme, anonyme cette fois, raconte que Nicolas Hulot l'aurait embrassée de force lors d'une réunion de travail pour l'émission Ushuaïa, à l'époque diffusée sur TF1. À ces témoignages filmés s'ajoutent deux lettres envoyées à la rédaction d'Envoyé Spécial. La première est signée Maureen Dor, ex-animatrice aujourd'hui éditrice, qui raconte que Nicolas Hulot l'a agressée dans une chambre d'hôtel alors qu'elle avait 18 ans, en 1989. La seconde, anonymisée par Franceinfo, vient d'une ancienne employée de TF1. Elle raconte que Nicolas Hulot a pris sa main "pour la plaquer sur son pantalon" après un déjeuner professionnel, au début des années 1990. Tous ces faits sont prescrits aux yeux de la loi, comme le rappelle l'émission à plusieurs reprises. Le parquet de Paris a toutefois annoncé l'ouverture d'une enquête pour "viol et agression sexuelle".

Coups de fil ou coup de pression ?

Face à cette nouvelle affaire, la stratégie de Nicolas Hulot n'est pas nouvelle. Il l'avait déjà employée en 2018, lorsque le magazine Ebdo s'apprêtait à révéler la plainte pour viol déposée en 2008 contre lui par Pascale Mitterrand, pour des faits remontant à 1997 (le Monde en révélait le contenu le 25 novembre), et ayant donné lieu à un classement sans suite pour cause de prescription – ce qu'a aussi relevé Mediapart. Avant la parution d'Ebdo, Nicolas Hulot avait déjà choisi BFMTV pour s'exprimer, cette fois sur le plateau de Jean-Jacques Bourdin. Nicolas Hulot est alors ministre de la Transition écologique, numéro 3 du gouvernement d'Édouard Philippe. Le jeune magazine Ebdo fait face à un violent débat : fallait-il publier cette plainte ? Car dans ses pages, le magazine ne donnait ni le nom de la plaignante, qui ne souhaitait pas témoigner, ni le contenu de la plainte, ni ne relatait les faits précis qu'elle reprochait à Hulot. Un débat dont s'était fait l'écho Daniel Schneidermann, notamment, dans une chronique pour Libération

Fiasco pour les uns, coup d'épée dans l'eau pour d'autres, l'enquête d'Ebdo ébranle Hulot, mais ne l'abat pas – certains continuent d'enquêter sur Hulot, rappelle le journaliste de Mediapart Michaël Hajdenberg, qui expose en longueur sur son blog les insuffisances de sa propre enquête jamais publiée. Soutenu par le gouvernement, et en première ligne Marlène Schiappa alors secrétaire d'État à l'égalité entre les femmes et les hommes, Nicolas Hulot se maintient à son poste et semble voir passer l'orage. Dans les mois et les années qui suivent, Nicolas Hulot adoptera toujours la même méthode pour anticiper les éventuelles casseroles qui pourraient lui tomber dessus. Ainsi au Monde, Sylvia Zappi, qui cosigne l'enquête récente du quotidien sur l'affaire Hulot, confirme auprès d'Arrêt sur images avoir reçu deux coups de fil alors qu'elle enquêtait sur l'homme politique en 2018. "J'ai été appelée deux fois pour savoir où j'en étais, ce que je faisais. C'est assez déplaisant." Au bout du fil, Nicolas Hulot, alors ministre d'État, en personne. 

Jean-Michel Aphatie a vécu la même expérience, même si le journaliste se souvient de discussions "courtoises". Alors qu'il enquête pour son livre Les Amateurs(Flammarion, 2021), dans lequel il revient sur l'affaire Hulot, Aphatie reçoit un coup de fil qui le prend de court. "J’avais le projet d’aller le voir, mais au moment où il m’appelle, je ne suis pas prêt. Il me dit qu'il sait que j'enquête, mais qu'il n'a rien à me dire." En 2018 déjà, alors qu'il avait évoqué l'affaire sur le plateau de C à Vous, Aphatie recevait peu ou prou le même coup de fil… "C’est très malin de sa part. Il veut rester maître de la situation, et il dit tout de suite qu'il ne s'exprimera pas. Moi ça ne m’impressionne pas, mais je comprends que ça puisse impressionner." Nicolas Hulot ne répondra finalement pas aux questions que Jean-Michel Aphatie voulait lui poser, pas plus qu'à celles que Virginie Vilar et Élise Lucet avaient préparées. Les deux journalistes ont d'ailleurs raconté sur BFMTV, ce 26 novembre, avoir reçu elles aussi des appels, bien en amont de la diffusion de leur enquête, comme le raconte Virginie Vilar : "Je commence à enquêter, et deux semaines plus tard, un soir, il est ministre de l'Environnement, et à 20 h j'ai cinq ou six appels en absence d'un numéro privé. Je finis par décrocher, et «Bonjour, c'est Nicolas Hulot». […] Il dit que je répands des rumeurs et il me met en garde." Élise Lucet raconte le même coup de fil, deux mois plus tard : "Il me dit «Élise, faites attention à ce que vous faites. La vie d'un homme est en jeu.»" 

Hulot fait travailler les femmes pour sa défense

Cette semaine, entre l'interview sur BFMTV et la diffusion d'Envoyé Spécial, sont ressorties des images d'un précédent Envoyé Spécial diffusé en 2018, comme le rapporte le Parisien. On y découvre Marlène Schiappa sommée alors de défendre le ministre, se prêtant au jeu de la communication gouvernementale jusqu'à une tribune dézinguant Ebdo dans le JDD. Aujourd'hui, le cabinet en communication travaillant pour Nicolas Hulot adopte à sa demande le même procédé : une centaine de femmes de son entourage ont été sollicitées afin de le défendre dans une tribune… projet abandonné après l'ouverture d'une enquête préliminaire, a révélé le Parisien.

Vanessa Jérôme, sociologue et spécialiste du parti écologiste (Les Verts, puis EELV), a elle aussi enquêté sur les différentes affaires Hulot. "Avec une journaliste, nous essayions de recouper des témoignages, de trouver des gens qui pourraient en parler. Quelques jours plus tard, Nicolas Hulot est déjà au courant, et il appelle la journaliste en question." Pour Jérôme, plus qu'une stratégie de communication, Nicolas Hulot adopte une stratégie "d'étouffement". Au point que les journalistes seraient devenus frileux ? Ils veulent en tout cas toujours plus de preuves avant de publier, sans doute refroidis par l'épisode Ebdo "Une autre journaliste, avec qui j'avais partagé des informations, a refusé de les publier parce que ça ne suffisait pas, qu'il n'y avait pas assez de témoignages. Ces sujets sont tellement durs à imposer, on fait tellement porter la charge de la preuve à la victime, qu’on s’est mis à exiger des enquêtes d’un niveau de crédibilité très très élevé." 

Anaïs Leleux, créatrice de l'association Pourvoir Féministe, avait elle aussi recueilli le témoignage de l'une des victimes qui témoigne dans Envoyé Spécial : "Elle a essayé de trouver d’autres moyens pour faire sortir son témoignage. Elle a créé un compte Twitter pour raconter son histoire, en nommant Nicolas Hulot, mais finalement elle a tout supprimé au bout de quelques heures." Sylvia, qui raconte sur France 2 avoir été agressée par Nicolas Hulot au sortir d'une émission de France Inter, a par ailleurs en vain tenté de faire publier son histoire par les éditions des Arènes, qui avaient lancé Ebdo, en 2018. Cécile, qui affirme dans Envoyé spécial avoir été agressée à Moscou, avait aussi pris contact avec l'hebdomadaire après la sortie de la première enquête. Il aura finalement fallu trois ans pour que ces témoignages aboutissent. Sur France 2, Virginie Vilar racontait le temps long qu'il a fallu pour ces femmes avant de se décider à témoigner, et à visage découvert : "Elles ont mis des années à prendre la parole, c'est une décision mûrement réfléchie." La journaliste a par ailleurs affirmé que depuis la prise de parole de Nicolas Hulot et la diffusion d'Envoyé Spécial, plusieurs femmes s'étaient manifestées. Elles réfléchissent à témoigner à leur tour.

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