Le week-end des détendus
Daniel Schneidermann - - 0 commentairesIls sont à l'aise, diserts, sympas, parfaitement
"détendus", comme dirait Maïtena Biraben. Ils sont chez eux sur les plateaux des talk-shows du week-end. Et jeunes, oh oui. "J'ai 27 ans", proclame chez Ruquier Geoffroy Lejeune (!), rédacteur en chef du service politique de Valeurs Actuelles. "Quand je suis née, en 1991, vous conseilliez François Mitterrand depuis dix ans", lance à Attali Eugénie Bastié, journaliste au site du Figaro, sur le plateau de Taddei. Lejeune vient d'écrire un livre (en couverture de Valeurs Actuelles cette semaine), qui imagine Zemmour à l'Elysée en 2017. C'est évidemment une farce totalement improbable, et Lea Salamé le souligne, mais n'empêche : alors que Ruquier et sa bande sont partis à la recherche de l'outsider de 2017, celui qui chamboulera le vieux jeu de quilles des politiciens professionnels, alors qu'ils ont testé Onfray la semaine dernière, l'idée est assez titillante pour susciter une invitation. Et on en discute sérieusement : possible, pas possible, éléments pour, éléments contre, avec un jeune journaliste tellement détendu qu'il n'hésite pas à moquer les couvertures racistes et islamophobes de son hebdo.
"L'immigration, ce n'est pas Erasmus, Monsieur Attali. C'est une tragédie" lance Eugénie Bastié à papy. Et, ironique et triomphale : "le vieux monde est de retour". Le vieux monde, celui des frontières et des enracinements, celui de ces Européens taraudés par "le complexe des Indiens d'Amérique". Mais qu'on ne croie pas qu'on n'a pas de coeur, au site du Figaro. Dans la masse des migrants, s'il faut choisir devant lesquels on entrouvre les barbelés, préconise-t-elle, il faut choisir "ceux qui souffrent le plus", plutôt que ceux qui seront utiles à l'économie.
Bref, la relève de Zemmour, Finkielkraut ou Buisson est là, le monde lui appartient. Découvrant la gloire des plateaux télé, ils regardent autour d'eux : ô délices, tous leurs contradicteurs sont, au bas mot, quinquagénaires. Où sont les jeunes voix de gauche ? Sont-elles à ce point tétanisées par l'hégémonie de la droite extrême sur les plateaux mainstream, que leur parole leur reste dans la gorge ? Deux jeunes plumes d'indiscutable gauche livrent une bribe de réponse dans un blog de Mediapart. "Nombreux sont ceux qui, aujourd’hui, vivent leur vie sur le mode du désarroi et de la tristesse. Faire l’expérience de la politique, pour la plupart d’entre nous, désormais, c’est faire l’expérience de l’impuissance" analysent, dans un beau texte, le sociologue Geoffroy de Lagasnerie et l'écrivain Edouard Louis. Mais alors, que faire ? Faut-il aller, dans le cadre médiatique existant du débat idéologique grand public (Ruquier, Taddei, BFM, etc) affronter les détendus de la jeune droite ? "Combattre ce qui prétend à l’hégémonie discursive aujourd’hui, c’est parfois se taire plutôt qu’être complices" assurent-ils, semblant théoriser le renoncement avant, quelques lignes plus loin, de paraître préconiser, au contraire : "le plus souvent possible, intervenir, occuper l'espace". Alors, camarades ? Il faudrait savoir !