Refugees welcome : d'où sort donc cette Allemagne ?

Daniel Schneidermann - - 0 commentaires

Si on s'attendait !

Nos médias s'extasient, incrédules : il paraitrait que l'Allemagne accueille les réfugiés à bras ouverts. Il paraitrait que la Bild, la terrible Bild, aux couvertures persécutrices des Grecs dépensiers, lance une grande opération de solidarité avec les migrants (ou les réfugiés, comme on choisira de dire) qui déferlent sur le pays. "Wir helfen" : nous aidons. Il paraitrait que des banderoles Refugees welcome se déploient dans les tribunes des matches de foot, que des Allemands viennent dans les camps danser avec les réfugiés, ou partager des gâteaux. Il paraitrait que 60% des Allemands se déclarent prêts à accueillir, chez eux, un migrant. Mais d'où sort donc cette Allemagne ouverte et fraternelle, cette Allemagne inconnue ?

Tous ces derniers mois, s'agissant de l'accueil des étrangers, l'image projetée par l'Allemagne fut celle du mouvement xénophobe Pegida : manifs devant les centres d'accueil, violences, rélents néo-nazis, décidement incorrigibles. Et voici que cette image s'inverse radicalement, faisant passer le discours officiel français, à son tour, pour rance et racorni. On se doute bien qu'il y a là, d'abord, un effet de loupe. Les caméras étrangères qui zoomaient hier sur Pegida auraient pu tout aussi bien zoomer sur les initiatives fraternelles. Et celles qui zooment aujourd'hui sur les banderoles des stades pourraient symétriquement rester sur Pegida, qui n'a pas disparu.

Comment le même pays, qui a souhaité acculer la Grèce au Grexit, qui enferme le continent entier dans la cage de fer d'une austérité budgétaire implacable, ouvre-t-il ses bras aux Syriens et aux Afghans ? Pas plus malin que les autres, le matinaute ne saurait prétendre avoir tout prévu ni tout compris. Tout juste peut-on esquisser une piste, à explorer : il faudrait essayer de concevoir que ces deux Allemagnes apparentes ne s'opposent pas, mais sont deux faces d'une même Allemagne, l'Allemagne de l'ordolibéralisme, ce libéralisme des bords du Rhin, né dans les années 30, et triomphant après la guerre, dont se déclarent aujourd'hui proches un Tusk ou un Schaüble. Dans ce système, il incombe à l'Etat de construire les structures de la libre concurrence, et de veiller à leur respect, au nom de principes moraux supérieurs dont il est le garant, le profit ne constituant pas une fin en soi. On ne dépense pas plus qu'on ne gagne, on ne triche pas sur ses comptes, et on accueille les migrants dans des conditions dignes, équitables, et...ordonnées : trois faces d'une même morale ?  

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