Maroc / Chantage : enregistrements des rendez-vous (JDD)

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Trois rendez-vous et une interpellation. Le JDD assure avoir eu accès aux enregistrements des rendez-vous clandestins organisés entre un avocat marocain et deux journalistes français, Eric Laurent et Catherine Graciet, soupçonnés d'avoir fait chanter le roi du Maroc et mis en examen depuis pour chantage et extorsion de fonds.

JDD, édition du 30/08/2015

Le 23 juillet, Laurent, co-auteur avec Graciet d'un livre très critique sur Mohamed VI en 2012, appelle Rabat. Il veut parler au directeur du cabinet royal. Il rappelle le 27. Le palais décide alors de dépêcher un avocat marocain. La première rencontre a lieu, le 11 août, au bar du Royal Monceau, à Paris. "Vous voulez quoi ?", demande, selon le compte-rendu du JJ, l'avocat qui enregistre la conversation sur son iPhone, à Laurent.

"Je veux trois.

- Trois quoi, trois mille ?

- Non, trois millions.

- Trois millions de dirhams ?

- Non, trois millions d'euros".

Le son n'est pas très bon (le téléphone de l'avocat était dans sa poche) mais pousse le palais à déposer plainte à Paris. "Le 20 août, la plainte est sur le bureau du procureur de Paris, François Molins, qui découvre « une affaire d’État », avec un dossier de « chantage, extorsion de fonds, et association de malfaiteurs ». Le procureur saisit sur-le-champ la brigade de répression de la délinquance contre la personne (BRDP). Il y a urgence. Le lendemain, l’avocat marocain a un deuxième rendez-vous avec Éric Laurent au bar du Royal Monceau", raconte le JDD.

Cette fois-ci, l'avocat pose son téléphone sur sa table. Autour d'eux, des policiers en planque, qui disposent d'images prises par les caméras de surveillance de l'hôtel. L'avocat récapitule leur précédente conversation, et les "informations sensibles" que les deux journalistes seraient prêts à ne pas publier en échange d'une certaine somme d'argent. Réponse de Laurent : "Définitivement, exactement". Laurent assure aussi que sa co-auteure est "au courant pour les détails" et sait pour les "trois millions". "Éric Laurent promet qu’en cas d’accord sa coauteure, qui a pour «passion l’équitation», «se consacrera à l’équitation en même temps qu’elle écrira une biographie historique. […] On en a discuté, elle a dit que si vous arrivez à un accord elle arrête tout, le livre, les articles, les interventions publiques", détaille le JDD. "J'ai besoin de savoir ce qu'elle a en tête", insiste l'avocat. "C'est très clair, elle vous le dira elle-même". Un troisième rendez-vous est pris, le 27 août dans un hôtel de luxe de l'avenue Kleber.

Un rapport de la DGSE sur Mohamed VI dans la balance

La veille, le procureur avait ouvert une information judiciaire et nommé trois juges d'instruction, dont Isabelle Rich-Flament, qui a coordonné l'opération de flagrant délit du 27. Graciet, cette fois, est là et semble plus prudente que Laurent. Elle change au dernier moment le lieu du rendez-vous, préfère aller en face, au Raphaël. Une fois attablée, elle demande aussi à l'avocat de ranger son téléphone. La discussion dure cinq heures. "Dans un premier temps, les journalistes ont imaginé la création d’un trust à l’étranger pour toucher les fonds. La journaliste confie qu’elle dispose d’un rapport de la DGSE, les services secrets français, sur Mohammed VI, « lors de ses venues en France ». De son côté, l’avocat réclame « une garantie », c’est-à-dire un papier signé de leur main. Eux, veulent « une avance ». L’avocat leur propose « un million et demi d’euros », et ils transigent finalement « à deux », « un chacun », après avoir mis en avant l’a-valoir important qu’ils devront rembourser à leur éditeur…".

L'avocat s'absente ensuite cinq minutes pour "discuter avec un client". "Selon nos sources" écrit le JDD "c’est avec les policiers et la juge, informés de l’avancement des discussions, que se décide la suite de ce mauvais polar. Pour leur « avance », les deux journalistes ont exigé des « petites coupures, pas de billets de 500 € ». La juge donne son feu vert. Quand il revient au bar du Raphaël, qui est resté sous surveillance discrète de la police, l’avocat a deux enveloppes de 40.000 € chacune".

Après avoir pris l'engagement de "ne plus rien écrire" sur le royaume du Maroc, et de ne partager en aucune façon les "documents et informations" en leur possession, les deux journalistes finissent leurs verres et sortent de l'hôtel, où les attendent plusieurs voitures de police. Interpellés, ils ont depuis été mis en examen pour chantage et extorsion de fonds.

L'occasion de relire notre enquête : "Deux journalistes français interpellés à Paris, soupçonnés d'avoir fait chanter le roi du Maroc".

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