Crédit impôt recherche : un rapport sénatorial enterré

Anne-Sophie Jacques - - 0 commentaires

Surtout ne pas rendre publique l’évaluation du Crédit d’impôt recherche (CIR) : c’est l’expérience – amère – vécue par la sénatrice communiste Brigitte Gauthier-Maurin et rapporteure d’une commission d’enquête sur cette niche fiscale qui coûte à l’Etat près de 6 milliards d’euros par an. En effet, hier, les membres de la commission – dont les socialistes – ont rejeté ce rapport élaboré après six mois d’enquête, le condamnant ainsi aux oubliettes.

Comment est utilisé le crédit d’impôt recherche (CIR) ? Est-il efficace sur l’emploi ? Sur la recherche ? Qui en bénéficie ? Pour combien ? Vous n’en saurez rien. Hier, les membres de la Commission d’enquête sénatoriale chargée de cerner "la réalité du détournement du crédit d'impôt recherche de son objet et de ses incidences sur la situation de l'emploi et de la recherche dans notre pays" ont rejeté le rapport final de 264 pages élaboré après six mois d’enquête. Une enquête fouillée, souligne le journaliste de Libération Sylvestre Huet – reçu sur notre plateau consacrée à la recherche – car la Commission a envoyé "un questionnaire détaillé aux entreprises du CAC 40 sur les conditions dans lesquelles elles bénéficient du CIR. Questionnaire auquel elles ne pouvaient légalement se soustraire".

Pourtant les questions ne manquent pas, et Huet en égrène quelques-unes : "qui ne pourrait être curieux de savoir quelles sont les entreprises du CAC 40 qui, grâce au CIR échappent totalement à l'impôt sur les bénéfices des sociétés ? De savoir comment la Société Générale, une banque, ou le grand distributeur Carrefour, ont pu bénéficier à plein de ce dispositif fiscal si avantageux ? Ou par quel système Renault peut justifier de toucher du CIR pour l'activité de recherche d'une filiale sans effectifs ?" Rien que sur l’emploi, Huet cite une étude menée par l’association Sciences en marche, entendue par la Commission, qui estime que "le groupe des entreprises de plus de 500 salariés, qui capte 63% du CIR, n’a créé que 18% des emplois nouveaux de la période". Pire ajoute le journaliste : "trois branches industrielles perdent des emplois de R&D. Le secteur de la pharmacie (dont Sanofi) s’est ainsi octroyé 2 milliards de CIR entre 2008 et 2012 tout en détruisant 2.400 emplois dans ses laboratoires."

Comme le résumait Le Monde hier, "l’épisode vient rappeler que le CIR cristallise depuis quelques années les mécontentements d’une partie des acteurs du système de recherche et d’enseignement supérieur, pour qui cette baisse des rentrées fiscales se fait au détriment des moyens de recherche publique, sans être plus efficace pour son pendant privé. A l’inverse, les gouvernements de droite comme de gauche, considère l’outil comme attractif pour le pays. La France est d’ailleurs presque championne du monde en la matière : cette niche fiscale représente quelque 0,25 % du PIB". Et de rappeler que "ce rapport sénatorial, visiblement critique, n’est pourtant pas le premier du genre. En juillet 2013 par exemple, la Cour des comptes avait noté quelques carences du dispositif".

Un rapport visiblement critique ? Selon Le Monde, "le président de la Commission, Francis Delattre (Les Républicains), a répondu dans un communiqué que le rejet était lié «à un rapport globalement à charge contre le dispositif»". Mais la sénatrice communiste Brigitte Gauthier-Maurin et rapporteure de la Commission s’en défend : "le rapport ne proposait pas une rupture franche avec le CIR. Il identifiait des questionnements sur l’éligibilité des dépenses, la faiblesse des contrôles, la rémunération des cabinets de conseil…" Ces derniers pourraient capter, croit savoir Huet, 500 millions sur les six milliards déversés. Le journaliste ajoute que pour faciliter l'adoption de ce travail d’enquête, "devant l'offensive de dernière minute des autres membres de la commission, [la rapporteure] a même proposé d'abandonner toutes ses recommandations et de ne faire voter que le rapport". Peine perdue.

A en croire la dépêche AFP, les sénateurs communistes ne vont pas lâcher le morceau en demandant tout de même la publication dudit rapport et la tenue d'un débat sur le CIR au Sénat. Toujours selon la dépêche, ce type de rejet est rarissime : parmi les précédents, on note celui de Françoise Cartron (PS) et son rapport sur les rythmes scolaires qu’elle avait finalement mis en ligne sur son blog personnel. Mais Gauthier-Maurin aura bien du mal à procéder de même : comme le souligne Huet, "la sénatrice communiste est désormais soumise au «secret fiscal», sous peine de poursuites pénales, pour ces informations récupérées dans le cadre de cette commission d'enquête."

Lire sur arretsurimages.net.