Transparence : Mediapart flingue le candidat du président du Sénat
Anne-Sophie Jacques - - 0 commentairesPerdu ! Jean-Michel Lemoyne de Forges, le candidat proposé par le président du Sénat pour siéger à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) n’a pas été retenu hier lors de son audition par les sénateurs. Un camouflet selon Mediapart qui lundi avait dressé le portrait du poulain de Larcher, juge à Monaco, dont la candidature n’avait été annoncée que très tardivement et dont le CV n’apportait pas les gages d’une défense ardue de la transparence.
"Crash" ou "violent camouflet" : Mediapart ne lésine pas sur le vocabulaire pour souligner la tentative (ratée) de Gérard Larcher, président du Sénat, d’imposer Jean-Michel Lemoyne de Forges en tant que neuvième membre du collège de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) créée en 2013 suite à l’affaire Cahuzac et chargée d’examiner le patrimoine des parlementaires par ailleurs rendu public – mais pas toujours lisible comme on vous le racontait ici. Mediapart peut en effet se régaler. Lundi, à la veille de l’audition du candidat de Larcher, le site d’informations s’est chargé de dresser le portrait de ce candidat dont on ne connaissait rien, à commencer par sa candidature.
Selon Mediapart, "alors qu’une audition est programmée mardi 19 mai devant la commission des lois, afin que les sénateurs entérinent ce choix par un vote à la majorité des trois cinquièmes, le nom de Jean-Michel Lemoyne de Forges n’a été rendu public subrepticement que vendredi 15 mai au soir, glissé dans les tréfonds de l’agenda du Sénat". Et encore ! D’après le site Contexte, qui s’étonne également de cette candidature gardée secrète, de nombreux membres de cette commission "ont découvert l’information le lundi, en recevant la convocation pour le lendemain". Une convocation à 9h du matin, "horaire assez inhabituel". Et si "le président de la commission, Philippe Bas (UMP) […] assure que la présidence du Sénat aurait rendu publique cette information par un communiqué", ce dernier "ne figure nulle part sur le site de la présidence du Sénat".
Du coup, suggère Mediapart, plusieurs membres de la commission des lois ont découvert sur le site d’informations le CV de Lemoyne de Forges. A savoir : "professeur de droit public retraité, catholique engagé […] qui s’est mobilisé hier contre le mariage pour tous, avant-hier pour la liberté d’action des militants anti-IVG" mais surtout juge à Monaco. Ses liens avec le président du Sénat ? "Jean-Michel Lemoyne de Forges y côtoie l’actuelle conseillère «Justice» de Gérard Larcher, nommée sur le Rocher elle aussi en 2007, comme suppléante". Pour autant Mediapart peine à remplir le CV du candidat de Larcher à la rubrique avocat, activités entamées en 1990 et qui ont laissé peu de traces. Ce spécialiste du code de la santé a-t-il travaillé pour des laboratoires pharmaceutiques ? Mystère. Seul élément évident : ses activités d’avocat n’ont rien à voir avec les questions de déontologie ou de corruption dans la sphère publique.
Mais la question qui fâche – et que n’a pas manqué de poser en premier le socialiste Jean-Pierre Sueur et ancien président de la commission des lois – était de savoir si le juge de Monaco comptait abandonner ses fonctions en cas de validation de sa candidature. Réponse de Lemoyne de Forges reprise par Mediapart : "je rappelle quand même qu’à [la HATVP] c’est une fonction quasi bénévole. Il faut tout de même être raisonnable, puisque si mes informations sont exactes, c’est 200 euros la séance (à la HATVP), plafonné à 7500 euros par an". Notons que son poste de juge est rémunéré plus de 10 000 euros par mois. "Cela a jeté un froid" témoigne Christophe-André Frassa (UMP) cité par Contexte.
Quant à l’exigence de transparence en démocratie, l’homme n’a pas fait de mystère : pour lui, à en croire Mediapart, elle "a ses limites, parce qu’il y a un moment où l’exercice risque de frôler le ridicule. Ou encore: on n’est pas là pour faire le chevalier blanc à tout prix". Une tenue de chevalier que Lemoyne de Forges n’aura pas l’heur de porter (ou de laisser au vestiaire) : il n' a obtenu que 22 voix alors que 23 étaient nécessaires. Larcher est donc contraint de proposer un autre nom. Et pas celui d’un avocat même si – rappelons-le – l’Assemblée nationale n’avait pas hésité à recruter en 2012 au poste de déontologue chargée d’examiner les patrimoines des députés Noëlle Lenoir, par ailleurs avocate d’affaires.
Pourquoi un tel candidat qui apparaît peu fervent défenseur de la transparence ? Selon Mediapart, "sous couvert de l’anonymat, au Sénat, certains estiment que Gérard Larcher vise d’abord à tranquilliser ses troupes, pour partie ulcérées par «l’activisme» de la Haute autorité. Présidée par l’ancien magistrat Jean-Louis Nadal, un temps proche de Martine Aubry, cette instance indépendante créée à la fin 2013 a déjà saisi la justice du cas de sept parlementaires soupçonnés d’avoir fourni des déclarations de patrimoine mensongères, dont les sénateurs Aymeri de Montesquiou (UDI) [dont le nom se trouve également sur les listes HSBC dévoilées par Swissleaks], Serge Dassault (UMP) et Bruno Sido (UMP)". Les troupes ne sont donc pas (encore) tranquillisées.