Charlie Hebdo : petites blagues entre survivants
Daniel Schneidermann - - 0 commentaires
Il y en a deux qui n'ont pas fini de rire, là-haut, au milieu de leurs vierges, ce sont les Kouachi, Saïd et Chérif, quand ils se penchent sur le destin de Zineb El Rhazoui.
Zineb El Rhazoui est journaliste à Charlie Hebdo. Depuis le 7 janvier, elle est visée par des menaces de mort nominatives, modèle grand luxe personnalisé, le must du must de la menace de mort, notamment sur Twitter. Comme nous le racontions ici, un mot-clé "Il faut tuer Zineb El Rhazoui" a fait son apparition sur le réseau social. Elle vit à Paris, sous protection policière renforcée, apprend-on dans Le Monde (je ne connais les détails de la protection "renforcée" par rapport à la protection standard, mais il est permis de laisser vagabonder son imagination).
Son mari, qui travaillait au Maroc, a été repéré, et il a dû quitter son emploi, apprend-on encore. Si Le Monde s'intéresse à elle, ce n'est pas en raison d'un nouvel épisode de menaces de mort. C'est parce que Zineb El Rhazoui a été mise à pied et convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement par la direction. Par la direction de Charlie Hebdo ? Celle-là même. Par le même Gérard Biard qui, dans le dernier numéro de l'hebdomadaire, raconte sur deux pages sa tournée triomphale aux Etats-Unis sur le thème de la liberté d'expression ? Oui, lui-même. Ou Riss. Bref, la direction.
L'article du Monde n'explique pas clairement ce qui est reproché à la convoquée. Et pour cause : elle ne le sait pas elle-même, ce type de convocation devant, légalement, s'abstenir de toute motivation précise, et la direction de Charlie Hebdo n'ayant pas parlé au Monde. Mauvais esprit, Alexandre Piquard, du Monde, établit un lien entre cette mesure disciplinaire et la contestation interne ayant visé la direction de Charlie Hebdo depuis les attentats (nous vous avons raconté la chose, notamment ici). Voyons Alexandre Piquard ! Comme si c'était le genre de la direction d'un honnête journal comme Charlie, de faire régner la terreur dans l'équipe par des mesures disciplinaires. Et si les journalistes de Charlie cités par Le Monde, soutenant El Rhazoui, s'expriment sous couvert d'anonymat, c'est évidemment par pure modestie, et pas parce qu'ils craignent des représailles.
Si les reproches de la direction à son encontre ne sont pas clairement énoncés, il est néanmoins possible de les deviner entre les lignes. "C'est impossible de faire des reportages sous protection policière", dit El Rhazoui au Monde. On se pince, on relit pour s'assurer qu'on a bien lu. Mais oui. Tel pourrait donc être le motif. On imagine le rendez-vous entre survivants : "chère et bien aimée salariée El Rhazaoui, nous avons remarqué que votre ardeur à partir en reportage, notamment dans les pays musulmans, richement dotés en imams de toutes sortes, a faibli depuis le mois de janvier dernier. Que se passe-t-il donc ?" Ce sera sans doute le premier entretien de ce genre où le patron et sa salariée seront tous deux protégés par des gardes du corps. S'il y a des blancs, ça leur fera un autre sujet de conversation.