LuxLeaks : vers une commission d'enquête au Parlement européen ?

Anne-Sophie Jacques - - 0 commentaires

Jean-Claude Juncker bientôt sur le gril suite à l’affaire LuxLeaks ? Les Echos veulent le croire : en effet, 194 eurodéputés – sous l'impulsion des Verts – ont signé pour la mise en place d’une commission d’enquête au pouvoir élargie. Est-ce le début d’une enquête de grande ampleur rarement mis en place au sein de l’Europe qui pourrait déstabiliser l’ancien premier ministre du Luxembourg et actuel président de la Commission européenne ? Rien n’est moins sûr.

194 signatures : le quorum à atteindre pour l’ouverture d’une commission d’enquête suite à l’affaire Luxleaks est franchi puisqu’il fallait a minima 188 signataires. LuxLeaks ? C’est le nom porté par les révélations du consortium de journalistes d’investigation ICIJ publiées dans une quarantaine de journaux du monde entier quelques jours après la prise de fonction de Jean-Claude Juncker, ancien premier ministre du Luxembourg et actuel président de la Commission européenne, et qui mettait en cause 340 multinationales dont Apple, Amazon, Pepsi, Ikea ou encore Deutsche Bank, lesquelles auraient bénéficié de largesses fiscales – les tax ruling – de la part du Luxembourg. Suite aux révélations, les eurodéputés Verts et notamment Eva Joly exigeaient la mise en place d’une commission d’enquête dont ne voulaient ni les conservateurs et ni les sociaux-démocrates du Parlement qui ont préféré l’ouverture de deux enquêtes sur l’équité fiscale comme nous le racontions ici.

L’ouverture d’une commission d’enquête est rarissime : il n’y en a eu que trois depuis que le Parlement européen existe, dont celle créée pendant la crise de la vache folle et qui remonte à plus de quinze ans. C’est donc une victoire pour les Verts qui ont réussi à rallier les eurodéputés de la gauche radicale ainsi qu’une quinzaine d’eurodéputés allemands du PPE – la droite au Parlement – selon Les Echos. De quoi déstabiliser Juncker car, d’après le quotidien économique, "il ne devrait pas échapper à un exercice très embarrassant pour lui : une audition publique, où devant une nuée de caméras il devra s’expliquer longuement sur son rôle dans cette affaire."

Pour autant, les Verts du Parlement ne doivent pas se réjouir trop vite. Selon Le Monde, "le feu vert définitif au lancement de cette commission reste toutefois encore à donner. Martin Schulz, le président du Parlement, veut un recomptage : 20 députes conservateurs et 25 socio-démocrates ont rejoint Eva Joly. Les conservateurs cherchent à convaincre les leurs de retirer leurs signatures". De même : d’après le site de la RTBF, "il faut attendre le 5 février pour savoir quelle décision sera prise, les présidents de tous les groupes politiques se rencontreront et devraient décider si oui ou non cette commission peut être avalisée par la plénière, avec quel mandat, etc."

Ce n’est donc pas gagné. Le site d’information belge est d’ailleurs surpris – voire agacé – devant la frilosité des élus : "194 eurodéputés sur les 751 que compte le Parlement. On est loin du raz de marée auquel on aurait pu s'attendre sachant le scandale que ces révélations avaient suscité". On apprend également que chez les socialistes, ils sont 31 sur 191 à soutenir l’ouverture de cette commission. Un faible nombre quand on sait que pour la présidente de la délégation socialiste française Pervenche Berès, citée par Les Echos, Juncker "est un parrain repenti. A lui de faire la démonstration qu’il a changé."

Ce manque d'adhésion est en effet surprenant. Le Monde considère qu’avec une commission d’enquête, "le travail du Parlement sur LuxLeaks va changer de dimension. La commission dispose en effet de douze mois (avec des prolongations de trois mois possibles), pour mener ses investigations. Une quarantaine de députés pourra auditionner des acteurs clés de LuxLeaks - dont probablement le président de la commission, M. Juncker -, effectuer des voyages dans certains pays. Ils disposeront d’une mini-administration pour les soutenir dans leur travail". Mieux : le site de la RTBF précise que les enquêteurs pourront "réclamer, exiger des institutions européennes certains documents jusqu'ici confidentiels". Mais les détracteurs ne décolèrent pas. Le Monde cite un responsable conservateur au Parlement énervé. Selon lui, "la commission va faire perdre beaucoup de temps à l’exécutif européen. On avait un momentum politique là, avec LuxLeaks, pour aller vite et obtenir des pays membres qu’ils acceptent des dispositifs anti fraude et évasion fiscale. On risque de le laisser passer".

>> L'occasion de revoir notre émission consacrée à l'affaire LuxLeaks.

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