Charlie : "réflexe opportuniste des medias" (Lordon)
La rédaction - - 0 commentairesCharlie à tout prix ? C'est la question que pose l'économiste Frédéric Lordon, invité à plusieurs reprises sur notre plateau, sur son blog. Un billet très sceptique, tiré d'une intervention à la soirée "La dissidence, pas le silence !", organisée par le journal Fakir à la Bourse du travail à Paris le 12 janvier.
"Il faut sans doute en prendre son parti, car il y a un temps social pour chaque chose, et chaque chose a son heure sociale sous le ciel: un temps pour se recueillir, un temps pour tout dire à nouveau". Et pour Lordon, le temps pour tout dire à nouveau est arrivé. Dans ce billet, l'économiste exprime son scepticisme sur plusieurs sujets après les attentats qui ont visé la France la semaine dernière.
Sur l'expression "Je suis Charlie" tout d'abord : "On pouvait donc sans doute se sentir Charlie pour l’hommage aux personnes tuées – à la condition toutefois de se souvenir que, des personnes tuées, il y en a régulièrement, Zied et Bouna il y a quelque temps, Rémi Fraisse il y a peu, et que la compassion publique se distribue parfois d’une manière étrange, je veux dire étrangement inégale". Mais pour Lordon, les choses deviennent moins simples quand "Charlie" désigne les membres de la rédaction du journal : "On peut sans la moindre contradiction avoir été accablé par la tragédie humaine et n’avoir pas varié quant à l’avis que ce journal nous inspirait – pour ma part il était un objet de violent désaccord politique. Si, comme il était assez logique de l’entendre, «Je suis Charlie» était une injonction à s’assimiler au journal Charlie,cette injonction-là m’était impossible. Je ne suis pas Charlie, et je ne pouvais pas l’être, à aucun moment", estime l'économiste.
"Libération, qui organise avec une publicité aussi ostentatoire que possible l’hébergement de Charlie Hebdo"
Lordon dénonce également, dans son billet, le comportement des médias, et en premier lieu de Libération qui a accueilli dans ses locaux la nouvelle équipe de Charlie : "Les médias d’abord, dont on pouvait être sûr que, dans un réflexe opportuniste somme toute très semblable à celui des pouvoirs politiques dont ils partagent le discrédit, ils ne manqueraient pas pareille occasion de s’envelopper dans la «liberté de la presse», cet asile de leur turpitude. A l’image par exemple de Libération, qui organise avec une publicité aussi ostentatoire que possible l’hébergement de Charlie Hebdo. Libération, ce rafiot, vendu à tous les pouvoirs temporels, auto-institué dernière demeure de la liberté d’expression! — peut-être en tous les sens du terme d’ailleurs".
En conclusion, l'économiste estime que "si nous voulons avoir quelque chance de nous la réapproprier, passé le temps du deuil, il faudra songer à sortir de l’hébétude et à refaire de la politique. Mais pour de bon".