Le Monde : Kempf accuse

David Medioni - - 0 commentaires

Hervé Kempf contre Le Monde. Grand reporter historique sur les questions d'écologie, Kempf a quitté Le Monde. Il publie aujourd'hui sur Reporterre un texte accusateur sur la façon dont la direction du journal a décidé de reléguer le traitement de la question écologique. @si a tenté d'y voir plus clair. Pas simple.

Hervé Kempf a quitté Le Monde.Nous l'annoncions vendredi. Il officiera désormais sur Reporterre qui se présente comme le "quotidien de l'écologie en ligne" et dont Kempf fut l'un des fondateurs en 2006. Il y a publié aujourd'hui un long texte où il détaille les raisons de son départ. C'est le traitement du conflit de l'aéroport Notre-Dame des Landes et l'attitude de la direction à son égard, qui ont été à l'origine de son divorce avec le quotidien, où il a passé 15 ans. "Que je quitte volontairement un titre prestigieux étonnera peut-être. Mais certes moins que la raison qui m’y pousse: la censure mise en œuvre par sa direction, qui m’a empêché de poursuivre dans ce journal enquêtes et reportages sur le dossier de Notre-Dame des Landes", écrit Kempf, qui s'en prend plus largement au traitement de l'écologie par Le Monde.

Et d'accuser le journal de sous-traiter la question, voire d'être guidé par des lobbys. "L'une des premières décisions de la nouvelle directrice (Natalie Nougayrède, NDLR), fut de rétrograder le service Planète, pourtant bien peu remuant, en un pôle subordonné du service International", écrit-il.

A l'appui de ses accusations, le journaliste cite le traitement du Débat national sur la transition énergétique (notre enquête est ici). Il note qu'au moment où le quotidien lance son supplément économie quotidien destiné "aux CSP++++", "Le Débat national sur la transition énergétique, peu traité par le journal, trouva soudain une vive expression (...) le 17 mai, sous la forme de quatre pages axées sur «la compétitivité des entreprises» et majoritairement rédigées par des journalistes économiques extérieurs à la rédaction. On expliquait que l’enjeu essentiel d’une nouvelle politique énergétique était la compétitivité des entreprises, que le gaz de schiste réveillait l’industrie américaine, que la politique énergétique allemande produisait maints effets pervers. Un colloque organisé par l’Association française des entreprises privées (les cent plus importantes) et le Cercle de l’Industrie (fondé naguère par Dominique Strauss-Kahn) avec Le Monde accompagnait cet exercice de communication, qui remerciait Alstom, Areva, GDF-Suez, Arkema, Lafarge, etc. Ces partenaires avaient-ils apporté 35 000 euros au journal pour prix de ces quatre pages, comme me l’indiqua un collègue bien placé pour le savoir?"

En clair, selon lui, les annonceurs du journal, plutôt pro-nucléaires, ont conduit la direction à réorienter le traitement de la question énergétique vers un mode "moins marqué", pour reprendre les termes qu'il attribue à Didier Pourquery, ex-directeur des rédactions, à propos de l'aéroport Notre-Dame des Landes. Sur ce point, difficile d'obtenir des informations supplémentaires. Toutefois, à la régie publicitaire du journal, on souligne de manière sybilline que si tel a été le cas, "35 000 pour quatre pages dans le journal, ce n'est pas cher payé". En effet, le tarif facial d'une page de publicité dans la partie actualité du Monde est de 135 000 euros et généralement le taux de négociation se situe entre 50% et 60% du prix facial. Ainsi, pour 4 pages, les partenaires auraient ainsi eu à payer une somme aux alentours de 250 000 euros.

Kempf revient aussi sur le traitement de la question de l'aéroport Notre-Dame des Landes. A plusieurs reprises, assure-t-il, ses supérieurs hiérarchiques ont refusé de l'envoyer sur place, en novembre 2012 lors des grandes manifestations. Il s'attarde également sur l'épisode de la suppression de sa chronique écologie en juin dernier. Nous le racontions ici. "En juin, une actualité politique obligea à supprimer la page de journal qui comprenait la chronique Politique. La direction de la rédaction décida de déplacer cette page au lendemain, et de supprimer de ce fait la chronique Ecologie qui devait paraitre ce jour. C’était un choix éditorial net, qui marquait quelle était la priorité. Pour la première fois depuis sa création, cette chronique était supprimée", détaille Kempf. Rappelons toutefois que cette chronique est tout de même parue en ligne et que l'actualité politique en question était la mort de Pierre Mauroy, ex-Premier ministre. A ses yeux, ce fut pourtant l'incident de trop. A ce sujet, un journaliste du quotidien, Arnaud Leparmentier a réagi sur Twitter, en se moquant, un peu, de Kempf.

Dans la journée, Kempf a répliqué, sur Twitter, à Leparmentier en expliquant qu'il ne vérifie pas ses infos. Selon l'ex-journaliste du Monde, sa chronique n'a pas été remplacée, mais trappée et publiée en ligne suite à sa lourde insistance par courriel auprès de la direction.

Contactée par @si, la direction du Monde réagit au sujet de l'accusation de censure."Contrairement à ce qu’il prétend, Hervé Kempf n’a jamais fait l’objet de la moindre censure au Monde. La fréquence de ses chroniques et de ses articles en a amplement témoigné. Il est arrivé une seule fois, en quatre ans, que la publication de sa chronique soit repoussée – comme cela peut se produire pour tout article du journal, en fonction des priorités de l’actualité. Hervé Kempf a décidé de quitter Le Monde de sa propre initiative. Il sera prochainement remplacé dans nos pages en tant que chroniqueur sur les questions d’environnement - un thème que Le Monde entend continuer de traiter dans toute sa richesse", détaille la direction du journal sans apporter de réponse à la question sur les pages rédactionnelles. En interne, une journaliste s'étonne de la charge de Kempf. "En six ans pas un mot de sa chronique n'a été censuré. Il a tenu une chronique hebdomadaire sur l'environnement et il vient crier à la censure au journal. C'est un brin exagéré".

MAJ mardi 3 septembre, 12h. Réaction de la direction du Monde et réponses de Kempf à Leparmentier sur Twitter.

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