Morales, Batho : les deux réprouvés de la nuit

Daniel Schneidermann - - 0 commentaires

Cas d'école : deux nouvelles, de la veille et de la nuit, se disputent au réveil l'attention du matinaute.

La veille, le limogeage de la ministre de l'écologie française Dephine Batho, coupable d'avoir déclaré que son budget était "mauvais". Et dans la nuit, l'escale forcée à Vienne, en provenance de Moscou, du président bolivien Evo Morales, la France et le Portugal lui ayant interdit le survol de leur territoire, pensant (apparemment à tort) que Edward Snowden se trouvait à bord. Batho, Morales : deux réprouvés, deux tricards, sur lesquels s'excitent à égalité les Twittos de la nuit. Batho était-elle une bonne ministre ? Est-ce Hollande en personne qui a pris la décision d'interdire l'espace aérien à Morales ? A-t-elle été virée parce qu'elle était une femme, parce qu'elle était nulle, ou parce qu'elle avait eu le courage de l'ouvrir ? Les Etats-Unis ont-ils fait pression sur la France et Portugal ? Et le réchauffement, tout le monde s'en fout, désormais, du réchauffement ? Les Etats-Unis jouissent-ils désormais d'une totale immunité ? Bref, deux sujets en concurrence, deux sujets qui incitent au développement, aux éclairages, aux prolongements, aux indignations, (et je ne parle pas du feuilleton égyptien, qui se poursuit, mais n'est pas une nouvelle de la veille, à proprement parler).

Et dans les radios du matin ? Surprise : un de ces deux sujets a disparu des écrans radar, devinez lequel. Sur Batho, oui, on s'étripe, on s'interpelle, la grande machine Legrand-Aphatie-Cohen déploie toute ses talents, une ministre de l'écologie virée après un couac, c'est du bon, que du bonheur, du soleil dans la grisaille. Mais sur Morales en transit forcé à Vienne, rien. Rien d'autre qu'une brève dans le journal de 8 heures de France Inter, sur "le voyage mouvementé du président bolivien". Ah, ces Sud Américains, ces Alcazar, ces Tapioca, irrésistibles, vraiment. Ils n'en feront jamais d'autres. Rien sur la crise diplomatique qui se profile avec toute l'Amérique du Sud offensée (lire la remarquable couverture en direct du Guardian). Pas l'ombre d'une question sur cet alignement nocturne hollandien sur Obama, à peine trois jours après qu'on ait fait mine de s'offusquer sur les grandes oreilles américaines. Pas de question aux ministres qui passent devant les micros. Soyons juste : une responsable politique a réagi (au micro de RMC). "Si c'est vrai, la France est devenue un pays sous tutelle totale des Etats-Unis". Elle s'appelle Marine Le Pen. Rage. Rage de se sentir en accord avec Le Pen.

Que nous dit cette disproportion ? Deux choses (et sans doute bien d'autres). D'abord,la confirmation de ce qu'écrivait ici notre nouveau chroniqueur Georges Marion, sur le sort peu enviable qui, aujourd'hui comme hier, guette les lanceurs d'alerte, et auquel l'ère radieuse d'Internet n'a pas changé grand chose. Pendant que s'agite la Toile, pendant que se déploie la Finance où on la laisse se déployer, les Etats conservent dans l'ombre leurs ancestrales prérogatives, leurs cabinets noirs, leurs oubliettes, leurs lettres de cachet. Et leurs gazettes d'antichambre. Car la surdité à l'affaire Snowden-Morales des radios du matin montre bien comme elles demeurent l'oreille collée à la serrure des palais des princes, plutôt qu'à la voix de la rue.

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