Libération / Fabius : "faute déontologique de la direction" (personnels)
David Medioni - - 0 commentairesChaude ambiance à Libération ce lundi après que le quotidien ait fait sa Une sur la rumeur de l'existence d'un compte suisse de Laurent Fabius. Cette Une s'appuyait, en fait, sur un rendez-vous entre Fabrice Arfi de Mediapart (qui était sur le plateau d'@si vendredi) et Laurent Fabius samedi matin. Les personnels sont outrés et dénoncent une faute "déontologique", la direction du quotidien se défend.
"Il s'agit là d'une faute déontologique grave", vient de dénoncer la Société Civile des Personnels de Libération (SCPL) dans un communiqué intitulé "la faute". Dans ce texte, La SCPL "déplore que Libération ait relayé ce matin une rumeur sans fondement sur un prétendu compte en Suisse de Laurent Fabius, avec pour effet de l'accréditer. Notre travail de journaliste ne consiste pas à rendre publique une rumeur, mais à enquêter pour savoir si elle correspond à des faits. Ce travail élémentaire n'a pas été fait".
Cette réaction fait suite à la Une et aux articles publiés dans les pages évènements de Libération ce lundi. La Une indique : "Affaire Cahuzac : le cauchemar continue". Le sous-titre indique : "Après le scandale impliquant l'ex-ministre, Laurent Fabius dément à Libération détenir un compte en Suisse. Vent de panique à l'Elysée". La une de Libération, lundi 8 avril |
En page intérieure, aucune information ne corrobore l'existence d'un compte suisse du ministre des Affaires étrangères. "Depuis trois jours, ce n’est pas l’affaire Cahuzac qui mobilise l’exécutif dans le plus grand des secrets, mais une possible affaire Fabius. Depuis jeudi, un scénario noir circule dans tous les ministères : Mediapart aurait en sa possession les preuves que Laurent Fabius détient un ou plusieurs comptes en Suisse. Et comme Edwy Plenel se répand partout que son site se prépare à révéler un «scandale républicain, la rumeur s’emballe. Info, intox ? Nul ne sait", peut-on lire dans le papier d'"analyse" signé Laure Bretton et Grégoire Biseau. |
La seule "information" du papier se situe, en fait, dans le deuxième paragraphe. "Samedi matin, la rumeur devient d’un seul coup beaucoup plus menaçante. Et pour cause, à ce moment-là, Fabrice Arfi, journaliste à Mediapart, est en train de confronter ses informations avec la version du ministre des Affaires étrangères, tout juste rentré du Mali. C’est leur première rencontre. "Il n’existe à Mediapart que ce qui est publié sur notre site", explique à Libération Arfi, qui n’a encore rien publié sur le sujet". Sur le reste, pas de corbeau, d'enregistrement ou de témoins qui affirment que Laurent Fabius a un compte en Suisse.
D'ailleurs, Libération ne se défend pas tellement du fait d'avoir enquêté et fait sa Une sur cette rumeur. Sylvain Bourmeau, le directeur adjoint du journal, qui a décidé de faire la une sur le sujet affirme au Monde que le quotidien est totalement dans son rôle. "Nous n'enquêtons pas sur la rumeur, mais sur la tétanie politique qui s'empare de l'Elysée et des cabinets ministériels. En aucun cas, l'article ne porte sur le fond de l'enquête de Mediapart", déclare Bourmeau. Et il ajoute, à propos de Mediapart (son ancienne maison), "C'est rare qu'ils fassent des roulements de tambours en annonçant "un scandale républicain à venir".Aujourd'hui, il suffit que Mediapart s'exprime pour que le monde devienne fébrile. D'une certaine façon, Mediapart fait de la politique, et nous, nous décrivons le champ politique".
Autre son de cloche, celui de Grégoire Biseau, l'un des auteurs de l'article, qui répondait aux questions des internautes de Libé par tchat lundi après-midi. "Compte tenu de la réaction des médias, il est clair que Libération a participé à une crédibilisation d'une rumeur. C'est un effet collatéral très violent, dont probablement, on n'a pas mesuré les effets dimanche", concède Biseau. Il juge ensuite que cela est "dommageable, et évidemment contre productif pour nous, puisque, encore une fois, notre but n'était surtout pas de répondre à la question: oui, ou non Laurent Fabius a-t-il un compte en Suisse?". D'autres, en interne, assurent que le comité de rédaction du matin a été très chaud et que Bourmeau a été pris à partie par de nombreux journalistes. Certains, analysent cette Une comme "une preuve supplémentaire des errements de cette direction Demorand-Bourmeau". "Supplémentaire" car Demorand a déjà dû faire face à la grogne des salariés. En avril 2012, ces derniers déclaraient même que "la greffe n'avait pas pris". La direction de Libération est décidément en mauvaise posture puisque elle ne peut même pas s'abriter derrière les ventes. En effet en 2012, année d'élections remportées par la gauche, les ventes ont stagné et ont surtout été portées par la diffusion numérique. Pas de quoi redonner des couleurs aux comptes de l'entreprise.
Enfin, après avoir estimé dans un tweet (voir ci-dessous) que "Libération perd la tête", Edwy Plenel, le directeur de Mediapart, en a d'ailleurs rajouté une couche sur son blog. "Rendre la rumeur publique, fût-elle accompagnée d’un ferme démenti, c’est la propager et lui donner consistance. C’est donc bien ce qu’a fait le quotidien Libération, lundi 8 avril, avec cette Une sidérante mettant en scène comme s’il s’agissait d’une information une rumeur qui agite Paris depuis trois jours", assène le président de Mediapart. Avant d'ajouter : "Nous ne l’évoquerions même pas si cette mise en scène, éloignée des règles les plus élémentaires du journalisme, ne s’abritait derrière la mention de Mediapart".
Sur le même sujet, lire aussi la chronique de Daniel Schneidermann intitulée, "Libé, Fabius, Mediapart, opération noyade".