Evasion fiscale : les banques devant le sénat

Anne-Sophie Jacques - - 0 commentaires

Des paradis fiscaux ? Quels paradis fiscaux ? Devant la commission d'enquête du Sénat consacrée à l’évasion fiscale, thème de notre dernière émission, les patrons des banques BNP Paribas et Société générale ont nié favoriser la fraude via des places offshore. Une audition riche en langue de bois, suivie par une poignée de journalistes.

L’enquête suit son cours, comme le laissait entendre sur notre plateau le sénateur UMP Philippe Dominati, président de la commission d’enquête du Sénat sur l’évasion fiscale. Mardi 17 avril c’était au tour de deux patrons de banque d’être auditionnés : Baudouin Prot, président de BNP Paribas, et Frédéric Oudéa, PDG de la Société Générale mais aussi président – et porte-parole – de la Fédération bancaire française (FBF). L’audition a notamment été suivie par Réjane Reibaud des Echos.

Surprise : les deux banquiers avaient manifestement connaissance de la plupart des questions posées par les membres de la Commission. Ils ont pu ainsi dérouler un discours préparé à l’avance. Et là, pas de surprise du tout : non non non, leurs banques "ne pratiquent pas une évasion fiscale volontaire pour le compte de leur groupe ou pour celui de leurs clients". Ils ont ensuite dénoncé le flou de la définition d’un paradis fiscal, "fil rouge de leur démonstration", selon la journaliste des Echos.

Prot et Oudéa ne savent pas ce qu’est un paradis fiscal et ils s’en émeuvent : "Aucune définition ne fait encore l'objet de consensus lorsqu'il s'agit de définir un paradis fiscal. Or nous avons besoin de références claires, précises et partagées par tous." En revanche, ils savent ce que n’est pas un paradis fiscal : il "n'a rien à voir avec un pays qui pratique un taux d'imposition plus favorable que la France. Ainsi sont rejetés de leur liste des pays comme la Suisse ou le Luxembourg". La BNP et la SG se basent donc sur deux listes, celle de l’OCDE et celle de l’Etat français, recensant les paradis fiscaux. On découvre cependant que la BNP est présente dans "deux pays de la liste noire de l'Etat français : les Philippines et Brunei." Que fait-elle à Brunei, sultanat de l’Asie du Sud-est peuplé de moins de 400 000 habitants ? Uniquement de la "gestion d'actifs pour des investisseurs institutionnels et des fonds souverains locaux, donc non concernés par l'évasion fiscale", répond sans trembler Prot.

Et la Sicav Luxumbrella de la BNP dénoncée comme favorisant l'évasion fiscale par le journalMarianne en 2010 ? Réponse de Prot : «Luxumbrella n'a pas d'autre objet que de mutualiser la gestion sous mandat pour mutualiser le coût des transactions et des arbitrages facturés par ces gestions collectives. Cette gestion doit être plus économique pour la banque et pour le client.» Et ? Et rien. Finalement, les deux banquiers finiront par sortir l’argument qui tue : les paradis fiscaux ça ne rapporte pas grand-chose : "«Brunei et les Philippines, c'est quelques millions d'euros de revenus», assure Baudouin Prot. Singapour tourneraient autour de 250 millions d'euros de résultat avant impôt et la Suisse aussi."


Optimisation... des livrets a !

Les membres de la commission ont posé la même question que l’éconaute en fin d’émission : l’optimisation fiscale est-elle de l’évasion fiscale ? Ils ont été fixés : "«il ne faut pas confondre optimisation fiscale et localisation de l'argent à l'étranger dans le but d'éluder l'impôt » a dit Frédéric Oudéa, considérant que «tous les agents économiques recherchent l'optimisation fiscale»". Et de citer, sans rire, les épargnants qui placent leurs bas de laine sur un livret A car ce placement est défiscalisé. Cela dit, Oudéa estime que "la fraude fiscale se sophistique" mais, dans une défausse ahurissante, il estime que "c’est compliqué pour des réseaux comme le nôtre où nous avons 30 000 salariés en France et où l'on recrute beaucoup de jeunes qu'il faut former sur ces sujets de tout maîtriser à 100%".

Enfin, autre question apparemment posée plusieurs fois par les sénateurs : combien ces banques payent-elles d’impôt en France ? Prot avance un chiffre sur deux ans (2010 et 2011), soit 800 millions d’euros, et, pour faire encore plus gros, il donne également le montant de tous les impôts payés par son entreprise (taxe sur les salaires, taxe professionnelle, TVA non récupérée, etc.), soit près de 3,3 milliards (là encore sur deux ans). Plus parlant, il fournit également le taux effectif payé en France : 29,1% en 2010 et 24% en 2011. Oudéa ne donnera pas les montants de l’impôt payé par sa banque mais seulement le taux effectif : 26,4% en 2010 et 30,9% en 2011.

On le voit, les deux banquiers ont refusé de répondre précisément à certaines questions. Ainsi, comme nous l’apprend la Voix du Nord qui a interrogé Eric Bocquet, sénateur communiste rapporteur de la commission (et maire d’une petite ville du Nord), Baudoin Prot est devenu muet "quand on lui a demandé si, par exemple à Neuilly, certains de ses clients étaient récemment venus retirer de très grosses sommes d'argent (…) alors qu'il y a pourtant obligation de déclaration aux services fiscaux". Quant aux journalistes présents, leurs questions à Prot, à sa sortie, sont restées sans réponse, comme le montre la dernière vidéo de l’article signé Jean-Louis Dell'Oro, journaliste de Challenges.

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