Dasquié, "l'étrange business" d'un journaliste (Mediapart)
Dan Israel - - 1 commentairesDes méthodes d'investigation pour le moins atypiques.
Mediapart a publié hier (accès payant) un article reprenant certaines investigations judiciaires concernant le travail, en 2007, du journaliste Guillaume Dasquié. Aujourd'hui à la tête de la rédaction d'Owni, il a officié plusieurs années comme enquêteur pour Libération. Mais c'est pour l'un de ses articles publiés dans Le Monde qu'il a affaire à la justice : le 6 décembre 2007, Dasquié a été mis en examen pour "compromission et divulgation du secret de la défense". Il lui est reproché d'avoir publié dans Le Monde du 17 avril 2007 des extraits d'une note "secret-défense" de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE). |
Elle indiquait que les services secrets français avaient prévenu leurs homologues américains, avant le 11 septembre 2001, qu'Al-Qaida projetait de détourner des avions.
"Guillaume Dasquié est désormais soupçonné d'avoir voulu vendre pour 150 000 euros une partie des documents publiés dans Le Monde aux avocats des familles des victimes du 11-Septembre, écrit Mediapart. Un mois avant la publication de ce dossier, un avocat américain du cabinet Motley est venu spécialement à Paris pour négocier avec le journaliste le montant de la transaction et le nombre de documents. Les pourparlers ont finalement été rompus, mais l'enquête a mis au jour l'ouverture par le journaliste d'un compte à la Banque cantonale vaudoise, à Lausanne, sur lequel des sommes en espèces étaient versées, après la vente d'autres documents confidentiels."
S'il ne conteste par l'existence du compte en Suisse, Dasquié a assuré en 2009 au juge Trévidic qu'il "y a dû y avoir moins de 25 000 euros qui sont passés sur ce compte", qui aurait été alimenté "par la vente de documents de nature essentiellement industrielle et commerciale". Il y a quatre ans, le journaliste nous avait longuement parlé de ses méthodes de l'époque, décrivant la façon dont il échangeait des documents confidentiels contre d'autres, convoités par ses sources potentielles. Un système de troc très efficace, assurait-il. Contacté par @si, Dasquié indique aujourd'hui, comme il l'a fait auprès de Mediapart, que ce compte servait à "protéger" ses sources, "des informateurs musulmans notamment, qui ne voulaient pas que l'on sache qu'ils travaillaient avec des Américains", sur le dossier du 11-Septembre notamment. Il assure à @si avoir été payé sur un compte français pour d'autres travaux d'enquête, pourtant menés en Suisse.
Echange ou paiement ?
Mediapart raconte ensuite, en s'appuyant sur le dossier judiciaire, qui comporte de nombreux e-mails du journaliste, comment il aurait essayé de monnayer des documents confidentiels de la DGSE auprès d'un cabinet d'avocats américains représentant certaines familles de victimes. Il a assuré être l'intermédiaire d'agents de la DGSE, et avait demandé au départ 150 000 euros (devenus 120 000 puis 90 000). La négociation n'a pas abouti, et ce sont ces documents qui ont été publiés dans Le Monde. Dasquié dénonce "une enquête menée à charge, mais pas à décharge" : "Dans mes échanges d'e-mails, il y a suffisamment de preuves écrites pour montrer que je n'ai pas cherché à me faire de l'argent, assure-t-il. J'ai notamment longuement échangé avec une société de production française qui souhaitait m'acheter les documents plus de 30 000 euros. Mais j'ai refusé car je trouvais leur traitement trop tapageur."
Mais alors, pourquoi avoir demandé de l'argent à son interlocuteur, Jean-Charles Brisard (dirigeant d'une société d'intelligence économique, et co-auteur en 2002 avec Dasquié d'un livre sur Ben Laden) ? "Je voulais contraindre Jean-Charles Brisard à un tel échange, a-t-il expliqué au juge. Or, je savais qu'il était à la recherche de certaines notes DGSE sur le 11 Septembre car il m'avait remis en 2004 ou 2005 une liste de documents prioritaires qui l'intéressaient. C'est pourquoi en 2006, je lui ai annoncé que j'étais sur le point d'obtenir une compilation de notes de la DGSE mais qu'il lui faudrait payer une fortune pour avoir un exemplaire." Atypique, on l'avait dit.