Clark, Lhomme, et la ringardisation

Daniel Schneidermann - - 0 commentaires

Moquerie ordinaire de Pascale Clark à son invité du matin Stéphane Lhomme

, candidat à la primaire des écolos: "vous êtes quelque part dans la région bordelaise. Venir dans les studios de France bleu Gironde, ç'aurait été trop mauvais pour votre bilan carbone ?" C'est vrai, où avez-vous donc la tête, Stéphane Lhomme ? France Inter, rendez vous compte, vous fait l'insigne honneur de vous inviter au micro de Pascale Clark, en dépit du lourd handicap de votre non-résidence à Paris, pas même à Bordeaux, mais dans la région bordelaise. Il vous est ainsi offert une occasion unique de jouer dans la cour des grands, au même niveau que vos compétiteurs Hulot et Joly. Et à sept heures cinquante, vous osez ne pas vous présenter dans les studios de France bleu Gironde ? Vous osez avoir d'autres obligations (des enfants à amener à l'école, peut-être, ou toute autre autre besogne futile du même genre) ? -pour la petite histoire, nous avions aussi invité Stéphane Lhomme vendredi, à notre émission sur Fukushima, profitant de son passage à Paris. Il avait décliné, pressé de regagner ses pénates bordelaises. On n'en a pas fait tout un plat. Ce sera pour la prochaine fois.

Le sarcasme de Clark à Lhomme nous ouvre un vaste champ de réflexion. D'abord, évidemment, il nous informe sur l'opinion de Pascale Clark sur les bilans carbone (et sans doute aussi sur le tri sélectif, le développement durable, et autres ukases écolos liberticides). Mais le plus intéressant est l'identité de la cible du sarcasme, Stéphane Lhomme. Ce genre de sarcasme est exclusivement réservé aux petits, et destiné (consciemment ou inconsciemment) à les ringardiser. La moquerie à l'égard du "petit"' est une sorte de prophétie auto-réalisatrice. Si l'on se moque de lui impunément, sans qu'il se rebelle, c'est donc qu'on a le droit, qu'il est légitime, de se moquer, et que l'on pourra continuer. Si je peux le ringardiser, c'est qu'il est ringard. Et si Lhomme est ringard, n'est-ce pas la cause qu'il incarne (l'opposition absolue, inconditionnelle, au nucléaire), qui l'est autant que lui ? (En cinq minutes, d'ailleurs, le mot de Fukushima n'est pas prononcé).

Pourquoi tout invité à une émission de radio est-il censé se rendre dans les studios les plus proches? Parce que la moins bonne qualité d'une conversation téléphonique présente le danger de faire décrocher l'auditeur. On mesure là la terreur des journalistes de radio, et leur manque de confiance dans l'intérêt de leurs programmes. Eh bien, désolé de faire mentir ce dogme accoustique, mais j'ai écouté Stéphane Lhomme jusqu'au bout. Notamment parce que (de tout mal, peut sortir un bien) Lhomme a raconté comment l'état-major des Verts lui a fait expurger sa profession de foi de toute allusion aux liens entre Hulot et ses ex-sponsors d'Ushuaïa. C'était édifiant (et la version intégrale de la profession de foi est ici).

Plus largement, l'injonction de Clark revient à décréter ceci: tout responsable politique, tout aspirant à un rôle national, est censé 1°) habiter Paris, ou y disposer d'un pied-à-terre 2°) accourir toutes affaires cessantes, par tous les moyens à sa disposition, à toute convocation de Pascale Clark, d'Aphatie ou d'Elkabbach. Sa vie est censée tourner autour du "sound bite" que reprendra le 20 heures, ou d'une invitation au Grand journal. C'est sans doute ainsi que les médiacrates souhaitent élargir la classe politique à des non-professionnels, à des profils atypiques, voire à des femmes, ou lutter contre le cumul des mandats. Le fait que ce soit une femme, Pascale Clark, qui adresse ce matin à un homme cette injonction implicite, prolonge de manière fascinante la réflexion amorcée ici l'autre jour par Anne-Sophie sur la sexualisation du contenu de l'information, notion parfaitement distincte du nombre de femmes présentes aux postes de responsabilité (et qu'il faut augmenter, chacun en est d'accord).

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