Sécu : "Parlons du trou de mémoire et non du trou financier"

La rédaction - - Fictions - Pédagogie & éducation - 298 commentaires

Le réalisateur de La Sociale Gilles Perret et le sociologue Frédéric Pierru sur notre plateau


Et si la Sécu, la bonne vieille sécurité sociale, se retrouvait au cœur de la présidentielle ? Depuis que le candidat de la droite François Fillon s’est embourbé dans ses projets de réforme, la Sécu se retrouve au centre des curiosités. A propos, d’où vient-elle ? Dans quelles conditions a-t-elle été créée en France à la Libération ? C’est justement le sujet du documentaire La Socialedu réalisateur Gillet Perret, notre invité de la semaine en compagnie du sociologue spécialiste de la santé Frédéric Pierru.

Coulisses de l’émission par Anne-Sophie Jacques

Qui sait ce qu’il se trame sur les réseaux sociaux ? Je vais vous le dire : il se trame (aussi) des émissions d’@si. Tandis que Daniel scrutait de son regard d’aigle l’agitation sur twitter durant les vacances de fin d’année – d’ailleurs, d’aigle il vient de passer à petit cuicui en se mettant à gazouiller lui aussi – il tombe sur un échange endiablé entre Mathilde Larrère et le réalisateur du documentaire La Sociale Gilles Perret. Notre chroniqueuse-historienne préférée avait adoré ce film en salle depuis le 9 novembre et qui retrace la naissance de la Sécurité sociale découlant directement du Conseil national de la résistance – objet du précédent film de Perret, Les jours heureux. Un film qui se taille un beau succès en salle (on compte 135 séances en France cette semaine, deux mois après la sortie) et dans la presse qui l'a accueilli chaleureusement (dont cette belle critique de Jacques Mandelbaum dans Le Monde). Ni une ni deux, Daniel fomente une émission, et Mathilde met la dernière main à la chronique qu'elle préparait. Le réalisateur accepte l’invitation.

Il faut dire que son film a un excellent attaché de presse en la personne de François Fillon. Accusé de vouloir privatiser la sécurité sociale, le voici empêtré dans un rétropédalage rigolo à regarder. Cette semaine encore, pour nous prouver qu’il tient plus que tout à la sécu, il a fait valoir ses origines gaullistes et chrétiennes. On attend avec impatience le moment où il invoquera l’amour pour sa maman (ne rigolez pas : dans Sicko, le documentaire de Michael Moore sur le système de santé américain sorti en 2007, les pourfendeurs d’un modèle socialisé répétaient en boucle leur amour filial pour prouver leur attachement à un système de santé de qualité. Fin de la parenthèse et de la petite suggestion que j’adresse à Fillon en plus de celle que je lui fais sur le plateau). Donc merci Fillon d’avoir bombardé dans le débat public cette question autour de la sécu bien souvent malmenée.

Malmenée et méconnue. D’ailleurs, qui se souvient d’Ambroise Croizat, ministre du travail qui fut ouvrier mais aussi communiste, membre de la CGT et à qui l’on doit la Sécu d’aujourd’hui ? Plus grand monde. En tout cas pas notre ancien ministre au même poste François Rebsamen qui affiche devant la caméra de Perret à la fois son ignorance et son mépris de l’histoire ouvrière. L’histoire du peuple qui inventa la démocratie socialisée. L’époque où le politique commandait l’économie et non l’inverse. "La victoire de l’idée socialiste" comme le dit la sociologue Colette Bec dans le documentaire, qui fait appel également aux éclairages du sociologue Frédéric Pierru, notre deuxième invité.

Et nous étions à deux doigts d’en avoir un troisième. Lundi nous avons cherché – sans trop de zèle, avouons-le – un expert capable de défendre l’hypothèse d’une sécu privée vertueuse. Sachant, comme le dit Pierru sur notre plateau, que ce n’est économiquement pas défendable. Et puis mercredi, je me suis souvenue de Jean-Marc Sylvestre. Oui, l’ancien chroniqueur sur France Inter (le Dominique Seux de l’époque) et ancien rédacteur en chef de TF1. En 2002, après une opération à cœur ouvert et trois mois de douleur, le journaliste sort de l’hôpital guéri et surtout reconnaissant envers la Sécu à qui il doit la vie. Celui qui n’avait cessé de critiquer ce fameux trou de la sécu jetait des fleurs à notre système de santé "formidable" : "il faudrait être sûr que tout le monde puisse en bénéficier" déclame-t-il dans un billet desEchos puis carrément dans un livre entier.

Mais cet amour est révolu. Sur son blog, en novembre dernier, il dézingue son idylle d’autrefois. "Le système d’assurance maladie est condamné, au moins tel qu’il fonctionne actuellement" écrit-il. "Tout se passe comme si le malade possédait une carte de crédit qui ne débite pas son compte propre mais celui de la collectivité". Fissa je l’appelle et lui pose la question : que s’est-il passé entre 2002 et aujourd’hui ? Il relativise. Il dit vouloir dénoncer l’inégalité de l’accès aux soins selon que l’on connaisse ou non les bons médecins spécialistes. Mais aussi la dérive des dépenses. Et ces fameux abus démontés sur notre plateau par Pierru – qui au passage signale le site Odenore où des chercheurs recensent les non-recours aux droits et services autrement plus problématiques. Sylvestre accepte dans un premier temps l’invitation avant de renoncer vendredi matin en assurant ne pas être légitime sur la question. Dommage, vraiment.

Bonus : après décision quasi-unanime de la rédaction, le second titre de l'émission en lice "Sécu : par paresse, les journalistes se jettent sur le trou" n'a pas été retenu.

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