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Sofie
Pour ma part, le seul moment où je trouve le propos de Y Haenel douteux et/ou fumeux, c'est lorsqu'il explique que la disparition des témoins serait la cause de l'avènement de l'imaginaire pour tenter de dire quelque chose de la Shoah... l'imaginaire n'a évidemment pas attendu le 21è sciècle pour s'emparer du potentiel hautement fantasmagorique de l'horreur et donc de son illustration paradigmatique qu'est l'holocauste (même pas la peine de citer les 3 milliard d'oeuvres de fictions hallucinées qui s'en sont inspirées). Le pauvre doit vraiment avoir besoin de se justifier... c'est dur d'être attaqué comme ça sur la place publique.
Non, juste au sujet des inter-relations entre histoire et littérature, je crois que l'antagonisme pointé est fictif. J'ai un ami historien qui a pour projet d'écrire la biographie d'un "grand" homme du 19è, il triture ce projet depuis un certain temps déjà, il a pas mal réflechit aux éccueils que présentent un tel exercice, et il a décidé de se lancer dans un projet assez original que je trouve intéressant : il veut faire une biographie thématique, c'est l'un des "styles" un peu en vogue dans le monde des historiens, qui permet d'écrire l'histoire d'une époque au prétexte d'un des acteurs qui l'a marqué. Mais, là où ça devient franchement original c'est qu'il voudrait faire précéder ses chapitres thématiques par une fausse auto-biographie du personnage en question (annoncée comme telle évidemment). L'idée étant que "ce qui je suis en réalité demeure inconnu" (excergue du recueil de lettres de Virginia Woolf paru récemment) et plus encore 2 siècles plus tard, après tout, pourquoi ne pas tenter la "vérité" littéraire, qui vaut ce qu'elle vaut, mais qui a le mérite de dire ce qu'elle est, à savoir "une" vérité, une interprétation (il y a quelqu'un derrière le clavier qui écrit avec ce qu'il est), une vision de choses... bref, de ne pas mentir sur la marchandise. Eh bien, d'une certaine façon, je pense que c'est ce qu'a fait le sieur Haenel.
Je ne saurais donner mon avis sur la qualité de son travail, pas lu mais bientôt sans doute... -
euromix
Haenel dit qu'il nous livre à travers la fiction ce qu'il ressent face aux faits qu'il connait, et qu'il croit avoir une forme de "vérité", qui est au moins celle de de faire confiance à ce qu'il sent et qu'il peut exprimer avec la littérature . (en tout cas c'est ce que j'ai entendu, même si ce ne sont pas ses mots exacts) Je suis très sensible à ce type de démarche et je vous remercie d'avoir fait cette émission.
Ce qui me touche ce sont les nombreux échos qui apparaissent et se répondent.
Par exemple, cette idée d'utiliser l'antisémitisme polonais pour se dédouaner. ou l'idée de la démocratie couvrant une réalité plus dure.
ça m'a rappelé ces idéaux portés qui sont si "purs" ou "supérieurs" qu'il permettent de faire violence contre ceux la même qui les portent afin de protéger ces mêmes idéaux d'un danger réel ou supposé. Le syndicalisme par exemple est traversé profondément par cette contradiction, faut il sauver le syndicalisme au prix de la violence sur ses propres membres ? ou aider les membres (fonction du syndicat) au risque d'affaiblir le syndicalisme....
c'est la question de préserver une valeur "supérieure" ou que l'on ne veut pas perdre en tout cas, au prix du sacrifice de d'un principe de cette même valeur. ce sacrifice restant secret. comme le père qui sait que ce que l'on dit sur l'Afrique est faux, mais cela permet a la démocratie de continuer a exister.
cette idée se retrouve partout, comme les "trucs" financiers qui permettent au capitalisme de continuer a exister, ou les scandales politiques sur le financement des partis. d'ailleurs le défense présentée est celle la même: il n'y a pas d'enrichissement personnel, c'est pour faire vivre le parti, et donc la démocratie.
je pense que ce livre fait circuler cette ambiguité qui résonne dans tous les coins. -
Hurluberlu
Personne ne l'a signalé donc je le fais: sur le site Le Portillon, Philippe De Jonckheere revient à la fois sur le livre de Yannick Haenel et sur l'entretien que ce dernier a livré à D@ns le texte [c'est ici]... Le texte est argumenté, moins violent que celui de Pierre Jourde [ici], mais tout aussi critique, voire encore plus. J'ajoute qu'il a plutôt tendance à décrire, en partie, certaines des réticences que j'avais exprimées dans l'autre forum sur le livre de Haenel... Mais Philippe De Jonckheere a cet immense avantage sur moi (en plus d'être plus argumenté et précis) d'avoir lu le livre de Haenel, ce que je n'ai pas fait. Je pars sur le champ me flageller
Je copie-colle la conclusion de cet article, laquelle s'adresse à Judith Bernard herself...
Chère Judith Bernard, quand vous avalisez chez votre invité son entrée fracassante dans « l’espace littéraire » et que vous arguez que c’est sans doute cela que Claude Lanzmann n’a pas compris, comment vous expliquez
[notedemoi: ce serait pas plutôt expliquer?]à vous ce que vous n’avez pas compris ? Et donnez un peu plus de crédit à l’intelligence de Claude Lanzmann, honnêtement, il le mérite. Et il comprend bien des choses. Dans le cas de ce livre, peut-être trop bien.
Moi j'dis, ça mériterait une chronique-réponse(ou une chronique-explication) (comme ça ça obligera Philippe de Jonckheere à s'abonner sans piquer le compte d'une amie :o))... Enfin, c'est vous qui déciderez, hein, je ne fais que suggérer...
Enfin, comme l'article a été mentionné sur l'indispensable site rezo, j'imagine que des membres de l'équipe d'@si, et JB in primis, étaient déjà au courant de son existence avant ce modeste post. -
Yanne
Je viens d'avoir le plaisir de voir cet opus de D@ns le Texte avec beaucoup de retard, et je l'ai trouvé magnifique. Tout y était parfait, les intervenants, le décor, et la réalisation par François Rose, qui, à part une hésitation, a filmé parfaitement.
Et Haenel m'a convaincue, je dois le reconnaître. Franchement, la polémique ne me passionnait pas, mais j'ai eu l'impression en voyant l'émission de déceler des ressorts secrets très intéressants, surtout qu'Haenel m'a paru bien représentatif de son époque, avec son air de BHL pas trop composé.
Surtout, je n'ai jamais pu voir Shoah, tout simplement parce que je sais qu'émotionnellement, ce serait trop dur pour moi.
Et cette image de Jan Karski, placée très à propos au début du sujet, où il est débordé par son émotion et ne peut pas parler, suffit à me remplir les yeux de larmes à moi aussi, alors j'imagine le film en entier.... Même si je sais que déjà le documentaire a pu fixer dans le langage le mot Shoah pour les évènements sans équivalent qui ont eu lieu lors de la solution finale, et qui fait qu'on ne peut les confondre avec d'autres. Inscrits dans le temps, les circonstances, et l'horreur. Et qu'il a aussi défini le côté bureaucratique et quasiment industriel de la Shoah.
Mais je pense que surtout, cette discussion ouvre sur un sujet très actuel qui est celui de la culpabilité par rapport à la Shoah.
D'ailleurs, dans le documentaire, les images parlent.
Elle disent. Je suis là, je dois parler, et parler ne sert à rien. Ma parole a échoué. Pourquoi parler encore ? Je suis coupable.
Mais pas de la culpabilité des responsables, ceux qui ont commis ou ordonné. La culpabilité de celui qui était là et n'a rien pu faire. La culpabilité du survivant.....
Et je vis dans un monde qui a connu la Shoah. Et après tout ce temps, je devrais parler.
Et je dois raconter. Je dois être trente cinq ans plus tôt, dans une autre vie, et témoigner. Je dois réemprunter les lignes du temps. Me souvenir et dire. Passer la parole, transmettre, parce que c'est un devoir.
Et c'est impossible.
Mais je finis par le dire. Je dois dire ce qui est indicible et qui me renvoie à ma propre culpabilité, et de survivant, et de celui qui vis aujourd'hui dans le pays qui n'a pas agi alors que moi, j'avais transmis l'information. Mais rien n'a été fait. La tragédie a eu lieu jusqu'à son terme.
Et cette image renvoie au sentiment de culpabilité de Lanzmann lui-même qui était résistant mais qui a pu faire si peu.... Ce qui explique peut-être qu'il veut se réserver Kraski, cette projection de lui-même. Celui qui a essayé et échoué, mais qui a fini par s'exprimer
Et tout cela nous renvoie à notre propre sentiment de culpabilité, de survivant.
Parce ce que Haenel comme beaucoup d'autres, nous nous sentons comptables de la shoah, cette horreur au coeur même de la civilisation. Ce qui a prouvé que notre culture n'était pas le phare du monde, mais au contraire son fossoyeur.. Et que nous pouvons nous révéler des barbares comme tout le monde.
Et Haenel rend compte dans ses paroles de cette culpabilité, de ce deuil et de cette incapacité à les assumer et à les dépasser.
Et en tant que chrétien, à cette expérience collective du Mal Absolu. De la Mort de Dieu, de la fin de la rédemption.
Et je trouve que cette émission, ne serait-ce que parce qu'elle me renvoie à mes propres interrogations, est géniale. -
yannick G
Dans les quatre pages que consacre cette semaine les Inrockuptibles à l'affaire Haenel/Lanzmann, les deux romancières illustrent le pour et le contre face au roman sur Karski.
Pour Marie Darrieussecq déclare notamment que "c'est quand même dingue de reprocher à Haenel de faire son travail de romancier, qui est de proposer, comme il dit, des hypothèses."
Hélas, je lui répondrai que ce n'est absolument pas le cœur du débat, ce n'est vraiment pas là le problème.
Le problème, c'est au contraire Annie Ernaux qui l'énonce "En forçant à peine, on peut voir les deux premières parties de son livre comme le tremplin vers la troisième : bien asseoir la réalité sur des documents avant de faire le saut dans la fiction [...] nous préparer à accréditer sa thèse. [...] j'ai trouvé le procédé pernicieux. [...] Pas de responsabilité par rapport à la vérité en littérature ? Allons donc ! "La fiction a tous les droits", c'est de la langue de bois littéraire. Qui clôt toute critique, toute discussion." (Les inrockuptibles, n°741, p.15)
Oui, il en va de la responsabilité de l'écrivain, qui ne peut se dissimuler derrière son droit à formuler des hypothèses, aussi légitime qu'il soit, car, Il y avait mille et une manière de formuler cette thèse, de l'amener, de la défendre.
Haenel a juste choisi l'une des plus mauvaises, des plus irresponsables, des plus faciles et de cela, de la structure de son roman, il nous est comptable.
yG -
Nielda
Salut,
Un hors-sujet :
Il vient quand Marc-Edourd Nabe ? -
NanouNana
Judith, acte 5 11'02: "la littérature de Joseph Kafka" [...?] -
sleepless
Et Brigitte Fontaine chez @si, D@ns le texte, c'est possible ? -
pompastel
Moi je le verrais plutôt dans la ligne jaune qu'il a franchi(e)
Bonne idée ! Au premier degré. -
Ervé
Mes espions attitrés à l'affût du buzz @sien m'indiquent que le prochain invité de D@ns le texte pourrait bien être BHL pour son dernier essai (transformé par J.B. Botul) : "La guerre en philosophie".
Après Haenel, attribuant des propos imaginaires à un personnage réel, BHL nous contera, avec sa verve habituelle, comment il a réussi à donner vie à un personnage imaginaire.
Je sais pas vous, mais moi j'en peux déjà plus d'attendre ! -
gérard Massin
heu, timidement et pour une première intervention depuis deux ans:"dans le texte" est bien une émission, donc présenté (e) par Judith Bernard (générique) me trompe-je ? si oui pardon... -
Juléjim
J'ai découvert ce matin le texte de Pierre Pachet publié par Le Monde (7/8 fév) et que l'on peut retrouver sur le site de Léon-Marc Lévy.
Emotion d'abord car Pachet fut l'un des profs de Paris VII qui, avec deux ou trois autres, me refila le virus de la littérature et de l'analyse de contenus mais surtout, la lecture apaisante de son texte, si intelligent et distancié par rapport à toute velléité polémiste, me fit le plus grand bien. C'est pourquoi je le signale et le conseille à tous et toutes. -
Peerline
"On les a laissé crevés"...
réalité historique: Was the British Bombing Offensive worth the costs in men and resources that were invested in it?
376,795 sorties aériennes de la RAF du début à la capitulation.
9000 avions perdus, 55000 aviateurs dispateurs.
Rien que pour le côté militaire, l'offensive, l'investissement et le cout humain sont considérables. En même temps, le combat s'effectue en Méditerannée, et on prépare puis assure l'offensive des débarquements. Le tout sans posséder aucunement la suprématie dans le ciel.
Plus de moyen pour bombarder les camps et leurs infrastructures, c'est moins de moyen pour les offensives militaires, donc une guerre plus longue (une course contre les russes pour Berlin et le partage futur de l'Europe qui prend du retard...)
Pour quel résultat?: Hypothétique, bombarder un camp et alors? Des baraquements en bois, un four, une voie de chemin de fer, cela se répare en très peu de temps. Il aurait fallu des bombardements intensifs, de TOUS les camps très fréquemment, à la limite de portée des avions de l'époque, après avoir traversé, aller et retour tout l'espace aérien de l'Allemagne... Sans parler que les camps auraient alors bouger, nécessitant une reconnaissance aérienne constante. Et une mission aérienne même si les bombes sont lachées n'est pas forécement un succès. Aujourd'hui vu de nos satellites et bombes laser ou GPS, une voie ferrée, à l'autre bout de l'Europe c'est très facile, ce n'était pas le cas. Et le résultat humain? des victimes humaines blessées qui auraient été laissées sur place... Un avenir plus enviable??
Alors augmenté l'effort de guerre de la part des USA.. Mais oui c'est tellement facile à dire, alors que les USA sont sur deux fronts que l'industrie de guerre fonctionne à plein, que l'économie est entièrement dirigée pour la guerre, à laquelle les citoyens particpent par le financement.
[large]Alors faire plus, mais comment??[/[/large]b]
Matériellement diffcile, moralement discutable..., pour lutter contre un processus connu mais dont on découvrit la réelle ampleur à postérioi!!
Ne tombons pas dans les analyses de premier niveau, et levons le nez vers la réalité!!
http://www.bomber-command.info/index.htm
la RAF
et en littérature, le Grand Cirque de Pierre Clostermann, l'OBLIGATOIRE lecture, pour qui veut comprendre la difficulté des missions de guerre aérienne de l'époque sur le terrain, et non dans un salon de thé du 16ème aujourd'hui!! -
Peerline
Et pour tous les passionnés du roman, est sortie la vie de Himmler en roman. HHhH.
http://www.lexpress.fr/culture/livre/pourquoi-lanzmann-s-en-est-il-pris-au-karski-de-haenel_845729.html
(n'y lisez surtout pas l'avis de l'historienne spécialiste de la mémoire de la Shoah, qui compte pour du beurre face à tous nos grands spécialistes en rien du forum) -
Djac Baweur
Pas vu l'émission, mais le thème me fait penser à un autre livre, également entre "fiction-réalité" autour de la seconde guerre mondiale, et mon petit doigt me dit que ça plane loin au-dessus de Haenel et des polémiques qui s'ensuivent : je veux parler de "Central-Europe" de W.T.Vollman. -
mvieja
Ouhhh !
C'est passionné !
Je suis trés heureuse du retour de Judith et de son compère ! Ayant entendu une partie de la polémique auparavent, je suis partie dans l'écoute de l'émission avec un a priori négatif envers l'auteur !
Je n'ai pas encore lu le livre, donc, je ne sais s'il me mettra mal-à-l'aise: peut-etre! ...mais, maintenant, j'ai envie d'y jeter un coup d'oeil.
L'émission, en elle-même, était excellente !
Elle a le mérite, de toute façon, de permettre de se poser quelques questions .
Je n'ai pas revu le film de Lanzmann depuis sa sortie. A l'époque, d'abord en état de sidération,je m'étais dit "attention, chef d'oeuvre!"!Même s'il est choquant de dire cela face à l'horreur.
L'artisan de ce chef d'oeuvre, encore trés proche de la Catastrophe,interrogeant les survivants,peut-il accepter ce genre de livre ?, peut-etre pas . Peut-etre est-ce impossible symboliquement ?...Y toucher équivaut peut-etre,pour lui, à une dépossession. Y a-t-il là toucher à ce qui est Sacré ?donc, franchissement d'un tabou ?En quelque sorte une perversion ?
D'autant que l'auteur de ce livre s'arroge une liberté, la liberté de faire parler un *mort-qui ne peut plus rien dire - mais, c'est un choix dit et assumé..Il est possible que cela brouille les pistes et soit dérangeant.* mais, en fait, qui peut en dire quelque chose ? personne ne sonde les "coeurs et les reins" ...personne n'est, ni n'a été dans le cerveau de Karski ! Il avait un for intérieur ...à tel point qu'il s'est tu pendant longtemps - il n'est pas le seul.Et, qu'il n'a pas eu forcément envie de tout dire.
Le plan sous-jacent : le plan politique...
Il y a des messages trés intéressants à ce sujet . Maintenant, à l'époque du tout-image-immédiatement, nombre d'horreurs d'un autre type, mais quand-même,nous parviennent directement. Il y a, à la suite, de grandes gesticulations politiques, mais -Real-politique aidant- rien n'est jamais fait...Comme si l'horrible devait s'accomplir jusqu'au bout ...
Avec le recul historique, nous voilà, peu à peu, "déniaisés" ...Si quelques individus tentent d'agir, d'alerter, de jouer les Cassandre, ils sont rarement audibles; Les personnes au pouvoir, quelque soit le pouvoir, vont d'abord mettre en balance leurs intérêts...Les voix des victimes sont alors écrasées.Les Cassandre en restent sans mots. Les politiciens au pouvoir mettent en place une construction où ils ont le beau rôle,
ou du moins,le moins mauvais possible.Et, ils s'y tiennent...Jusqu'à ce que des chercheurs, longtemps après, dévoilent certaines choses peu avouables ...L'Histoire n'est constituée que de cela. -
Alain Chadefaux
D@ns le texte est enfin de retour!!
J'avoue ne pas forcement faire attention aux décors, passionné que je suis par le débat.
Continuer et "bon vent"
Alain -
Oblivion
Voici ma modeste proposition d'invitée pour une future émission :
Annie Le Brun pour sa participation au livre collectif Regards sur la crise. -
Gavroche
Galanga, plus haut, relevait une phrase de Judith qui m'a également marquée :
J'ai beaucoup aimé la question sur ce courant de pensée supposé sur les droits de l'homme et la démocratie, avec la comparaison avec R. Debray; cette hypothèse résonne fortement avec ce que je comprends par exemple de la position de la Chine face à l'Occident. Je sens qu'on n'a pas fini d'entendre parler de cette hypothèse.
Effectivement, le fond du problème est là... Aujourd'hui, on hurle après Ian Karski - Yannick Haenel, qui a osé soutenir que les alliés ont tourné le dos aux juifs d'Europe, pour des raisons politiques. C'est sûr, c'est plus rassurant de se dire, les racistes c'étaient les polonais, nous autres "démocrates" on a le nez propre, la preuve, on s'est battu pour les libérer, ces sauvages...
Mais c'était il y a plus de soixante ans... Et aujourd'hui, qu'en est-il de nos politiques ?
Si les "vrais gens" se posent les vraies questions, et parfois s'engagent, comme Ian Karski l'a fait, lui qui n'était pas juif, aujourd'hui des citoyens "de base" s'engagent eux aussi, par exemple pour les sans papiers. Ils sont les nouveaux "justes".
Et pendant ce temps là, les politiques, même dans les prétendues démocraties, même s'ils font de grandes phrases ronflantes sur les "droits de l'homme", continuent de jeter dehors les indésirables des pays du sud. Par exemple. Au nom du "il faut être réaliste", au nom de "on ne peut pas accueillir tout le monde".
Bref, ce qui est vrai aujourd'hui l'était aussi il y a soixante ans, hélas.
Aujourd'hui Obama, prix Nobel de la paix, fait la guerre (le budget américain de la défense a explosé, plus que pendant la guerre du Vietnam), fait la promo des agrocarburants alors qu'il se prétend écolo et mange bio. Roosevelt aussi était un "pragmatique", et pour les amerlocains, le mot d'ordre a toujours été "l'Amérique d'abord"... -
Fédor
Vous ne trouvez pas que toute cette histoire ressemble un peu à une sorte d'Exit Ghost (le très beau dernier roman de Philip Roth) à l'envers ?
Dans Exit Ghost, c'est Kilman (jeune voyou des lettres) qui veut à toute force réduire l'oeuvre de Lonof (un grand écrivain mort et un peu oublié) à un inceste (incestueux, forcément incestueux). Il prépare ainsi son entrée sur la scène littéraire par cette "révélation". Cette façon abjecte de voir les choses révolte le narrateur non seulement par rapport à la mémoire de Lonof, personne réelle qu'il a connu, mais aussi (et surtout) par rapport à la conception réductrice de la littérature (et donc de celle de Lonof) qu'elle véhicule. La littérature est un moyen d'exploration des différents possibles. C'est en cela qu'elle est une érotique, rappelle Roth, dans ce très beau roman.
Il me semble que c'est tout l'inverse dans cette affaire Lanzmann-Haenel. Un jeune écrivain cherche à explorer par la littérature un Karski possible, probable, "logique", pour reprendre le terme d'Haenel. Le dispositif du roman (oui, avis aux douaniers sourcilleux de la pensée, c'est un roman) indique que le texte va à la fois vers la fiction et vers l'épure. La dernière partie cherche (et trouve) le nerf de Karski. La complexité de l'homme réel on l'a vue, sentie dans les deux premières parties.
Le texte d'Haenel ne ferme pas la porte à cette complexité. Il sort de la psychologie pour relayer une parole, celle de Karski, celle des deux leaders juifs. Le véritable objet d'Haenel c'est la parole, sa transmission. C'est par cette parole que le messager (les deux leaders juifs, Karski, Haenel) s'efface et persiste.