Club indé #4 : "La couverture média du Covid a contribué à l'anxiété"
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Comment couvrir une crise sanitaire sans précédent, qui dure depuis près de deux ans ? Les médias se sont-ils fourvoyés dans leur traitement de la pandémie de Covid-19 ? Comment parler des labos, des vaccins et des médicaments... en conservant son indépendance ? Emmanuelle Walter a invité trois spécialistes pour en discuter dans le dernier épisode de "Club Indé" : Bruno Toussaint, de la revue médicale Prescrire, et les journalistes scientifiques indépendants Lise Barnéoud (qui pige pour Le Monde, Mediapart et a écrit "Vaccins, petit guide par temps de Covid") et Brice Perrier (qui pige pour Marianne et a écrit "Sars-Cov-2, aux origines du mal").
La discussion démarre autour de la pression que les grands laboratoires, aussi surnommés "Big Pharma", peuvent exercer sur des publications scientifiques. Bruno Toussaint explique que sa revue Prescrire
s'est organisée pour conserver une indépendance financière - l'association à but non-lucratif ne dépend que de ses abonnés - et éditoriale, en créant une équipe qui veille l'actualité, d'un côté, et une rédaction d'autre part, avec "une relecture en interne comme en externe"
et des contributeurs professionnels (médecins, pharmaciens). Cela garantit "une pluralité et une diversité de points de vue,"
dit-il : "Tout est tracé, tout ce que nous écrivons est référencé et vérifiable."
"Bien sûr que les firmes pharmaceutiques exercent de l'influence"
Lise Barnéoud rappelle que les institutions peuvent également agir en "garde-fou" : c'était le cas par exemple sur la molécule rémdésivir, mise en avant par les laboratoires Gilead pour traiter le Covid-19 et qui s'est révélée inefficace : "J'ai fait un article dans
Le Monde pour révéler les magouilles de ce labo pour pousser les commandes de molécule,"
dit-elle, ajoutant que seule la France avait refusé de passer commande lors d'une commande européenne. C'est peut-être aussi grâce au raffut qu'a fait le professeur Raoult autour du laboratoire Gilead (dont il était très méfiant), suggère Brice Perrier, que la France a été plus prudente... "Bien sûr que
les firmes pharmaceutiques exercent beaucoup d’influence,
dit Bruno Toussaint. Nous [à
Prescrire], on ne voit pas preuve de complots, mais par contre oui, elles pèsent lourd, ça c’est très clair."
Les médias ont beaucoup remis en question le concept d'immunité collective, le qualifiant de "mirage",
de "leurre" "illusoire"
dont on serait en train de "s'éloigner".
Est-ce juste ? Pour Lise Barnéoud, cela dépend de l'objectif que l'on se fixe : éviter d'avoir à nouveau des hôpitaux débordés, ou 0 % de contamination ? "L'objectif de faire disparaître la maladie, c’est presque un mirage,
juge Toussaint. Il y en a extrêmement peu qui ont disparu totalement. Mais qu’il n’y ait plus de situations si critiques, c’est possible s’il y a beaucoup de personnes immunisées."
Perrier dit avoir été étonné
d'entendre dire que l’immunité du vaccin serait meilleure que l’immunité naturelle : "En général, immunité naturelle est toujours meilleure que le vaccin, c'est logique."
Lise Barnéoud conteste : "I
l n’y a pas de logique sur l’immunité. On a des exemples d’immunité vaccinale meilleures que l’immunité naturelle."
Les médias, "excessivement anxiogènes" sur le Covid ?
Sur les sujets médiatiques qui zooment sur l'histoire des "antivax repentis"
, comme la Une de Libération
le 27 août dernier, nos invités ne sont pas d'accord : pour Bruno Toussaint, bien qu'entendre la parole individuelle des patients soit souvent "intéressant"
, les sujets sont trop "schématisés"
: "C'est être au service de telle ou telle action sanitaire, faire de la propagande, influencer pour inciter les gens à se faire vacciner"
. Lise Barnéoud n'est pas d'accord : "Le journaliste est aussi là pour raconter des histoires humaines, les chiffres c’est froid... Il faut contextualiser, bien sûr, mais c’est évocateur, c’est ce qui touche."
Bruno Toussaint a observé que "le traitement médiatique d'une catastrophe ajoute de l'anxiété"
: "Le résultat, c'est que oui, ça a probablement contribué à ajouter de l'anxiété à quelque chose qui est déjà très sérieux."
Perrier aussi note "un côté très anxiogène, excessivement anxiogène"
, de certaines déclarations politiques : "Ça me paraît bizarre, en terme médical, de dire :
« Ayez peur
»."
Toussaint acquiesce : "Le management par la peur, c’est affreux !"
Se faire vacciner, choix individuel ou devoir collectif ? Lise Barnéoud s'est vue reprocher un article "insuffisamment pro-vaccin" qu'elle avait écrit pour Mediapart
, sur la balance bénéfice-risque de la vaccination, en indiquant son âge, sa région et d'autres caractéristiques. "J
e ne cherche pas à rassurer sur les effets secondaires, je cherche à informer,"
précise Lise Barnéoud. Elle explique que le but du papier était de "faire
comprendre le bénéfice-risque à l’échelle individuelle et collective"
, mais qu'on lui a reproché de "
favoriser une pensée individuelle alors que le vaccin ne devrait être pensé que de façon collective"
. Elle regrette : "J'aurais souhaité une discussion sur le fond, qui n’a pas du tout eu lieu
."
la "théorie du labo" : mea culpa des médias ?
Brice Perrier revient sur son livre, dans lequel il retrace son enquête pour comprendre l'origine du virus et s'intéresse de près à la "théorie du laboratoire"
, l'hypothèse, peu médiatisée au début de la pandémie, du virus d'origine animale échappé accidentellement d'un laboratoire à Wuhan, en Chine, après avoir été éventuellement modifié pour tester les risques de transmission à l'homme. La quatrième de couverture mentionne des médias "manipulés"
. Il s'explique : "
A
ujourd’hui, les médias reconnaissent que c’est possible, mais ils ne reconnaissent pas qu’ils ont raconté n’importe quoi."
Il se souvient d'un article du Monde
dans lequel un expert, interrogé sur l'hypothèse du labo, déclarait que "si le virus était travaillé, ça se verrait tout de suite"
. Ce même expert, une fois contacté par Perrier pour son livre, a reconnu que la théorie du laboratoire n'était pas impossible. "C
e genre d’article pousse au complotisme,
s'énerve Perrier. C'est censé être du fact-checking, et en fait ça dit n’importe quoi !"
Enfin, face aux interviews extrêmement pleines de déférence - et très récentes - du professeur Raoult par Laurence Ferrari et Cyril Hanouna, Lise Barnéoud soupire : "Je
conseille à toutes ces émissions d’embaucher des journalistes scientifiques dans leur rédaction."