(Archive 2009) "Sur la grippe, j'espère qu'on aura surréagi !"
La rédaction - - 73 commentairesLe Pr Flahault, et A. Ducardonnet (TF1) sur notre plateau
Avec la grippe A, les télés joueraient-elles à se faire peur ? Depuis quelques semaines, les jités vivent au rythme de l'épidémie. Des conseils sanitaires au décompte du nombre de victimes en temps réel, qu'est-ce qui semble justifié, et qu'est-ce qui relève de l'emballement médiatique ? L'organisation mondiale de la santé (OMS), dont les niveaux d'alerte sont suivis à la loupe, en fait-elle trop ?
Pour répondre à ces questions, nous recevons Antoine Flahault, spécialiste des épidémies et directeur de l'Ecole des hautes études en santé publique (EHESP), ainsi qu'Alain Ducardonnet, médecin et spécialiste Santé des chaînes TF1 et LCI. Ils sont accompagnés de notre journaliste Dan Israel.
Acte 1 - Laurence Ferrari suit la "locomotive administrative"
A quoi ressemble un journal télévisé en temps de grippe ? Illustration avec le jité diffusé par TF1 le 30 avril, soit le lendemain du passage au niveau 5 du seuil d'alerte de l'OMS. Ce soir-là, Laurence Ferrari consacrait 28 minutes de son journal (qui en dure en moyenne 35) au fameux virus.
Les titres qui ouvrent ce jité sont passés au crible par nos spécialistes. Ferrari a-t-elle raison, par exemple, de spécifier que le niveau 5 d'alerte "peut signifier la fermeture des crèches et des écoles" ? "La formulation est exacte", estime Flahault, même si elle semble peu probable avant plusieurs semaines.
Pour Alain Ducardonnet, si le 30 avril au soir, l'évolution du virus n'indiquait pas qu'il faudrait fermer les écoles dans un futur proche, Ferrari – comme d'autres journalistes – a plutôt choisi de mettre en avant les dispositifs préventifs élaborés par l'administration. Plan dans lequel la présentatrice de TF1 "a choisi les éléments qui sont peut-être les plus forts", admet Ducardonnet.
Question qui tue : que veut dire "41 hospitalisés dont cinq cas probables" ?
ACTE 2 - PEUT-ON LUTTER CONTRE LA GRIPPE AVEC DES DÉPÊCHES AFP ?
Dans un contexte où la situation sanitaire peut évoluer en quelques heures, l'Agence France-Presse (AFP) joue un rôle d'importance. Dan Israel s'est plongé dans les dépêches émises par l'agence ces dernières semaines. "Les 28, 29 et 30 avril, il y avait entre vingt et trente "urgents" par jour sur la grippe [les dépêches de l'AFP siglées "urgent" étant celles traitées en priorité par les rédactions]", soit près de la moitié de tous les "urgents" émis par l'agence en une journée. De quoi alimenter la frénésie des journalistes.
Pour Flahault, la réactivité des médias a permis de contenir en partie l'épidémie de SRAS (aussi appelé "pneumonie atypique") de 2003 : "L'apport des médias, de l'Internet, de la rapidité de circulation de l'information a permis de bloquer immédiatement la pandémie, de faire en sorte qu'elle ne se propage pas davantage". Les médias auraient en quelque sorte aidé les autorités de veille sanitaire dans leur communication.
Mais il n'est pas dit que cela puisse se reproduire pour la grippe A, dont les syndrômes sont moins détectables.
"Les gens n'ont pas de gros soucis de santé (...), iI y a des cas qui peuvent passer à travers les mailles du filet."
ACTE 3 - ROSELYNE BACHELOT OCCUPE LE TERRAIN
Et l'Etat, est-il intervenu de manière efficace ? Une chose est sûre : en termes de communication, la ministre Roselyne Bachelot a su "occuper le terrain".
Lors de toutes ses interventions dans les médias, la ministre s'est voulue rassurante. Rien de surprenant, donc, à ce que l'on n'apprenne pas de sa bouche, mais de celle d'Antoine Flahault, cette estimation plutôt impresionnante : la grippe pourrait mettre "35% des Français hors d'état de travailler." Bigre !
Autre chiffre décoiffant : saviez-vous qu'en 1968-1969, la grippe avait fait 30.000 morts en France ... sans que personne ne s'en rendre compte ?
Acte 4 - Aucune information sur les morts mexicains
Les très nombreux reportages et communiqués gouvernementaux portant sur la grippe A n'ont pas permis de lever le voile sur certains mystères qui aiguisent la curiosité de nos invités. Par exemple, l'absence de rapports d'autopsies provenant du Mexique. "On ne sait pas, en fin de
compte, de quoi ils sont décédés, puisqu'on ne meurt pas de la grippe
en tant que telle. D'une encéphalie ? d'une pneumonie ?", questionne Ducardonnet. "C'est un élément extrêmement important pour la suite."
Le gouvernement mexicain n'a pas communiqué ces informations ... "et l'OMS, qu'on a beaucoup vue, n'a pas creusé cette question", note le médecin.
L'OMS, justement, devant le siège de laquelle certains journaliste n'ont pas hésité à faire leurs directs, a-t-elle dramatisé la situation ? Flahault n'en est pas persuadé. "Est-ce que l'OMS veut montrer qu'elle existe ? Peut-être, mais c'est son rôle. Est-ce que vous trouverez qu'on aura sur-réagi, après coup ? Je l'espère."
Pourquoi espérer avoir "sur-réagi" ?