Sites, podcasts, youtube : "le débat sur le Moyen Âge est permanent !"
La rédaction - - Pédagogie & éducation - 27 commentairesTélécharger la video
Télécharger la version audio
Quoi de neuf en Histoire ? Le Moyen Âge évidemment ! Dans la foulée de séries à très grand succès comme Kaamelott ou Game of Thrones, on assiste à une floraison de travaux universitaires et de sites de médias en ligne concernant la période du Moyen Âge. Que peut-on découvrir de neuf aujourd'hui sur cette période tellement mal-aimée il y a peu de temps que l'adjectif "moyenâgeux" était péjoratif, une insulte. Discussion avec quatre "cyber-médiévistes" : Florian Besson, historien ; Pauline Guena, historienne (animateurs du site Actuel Moyen Âge) ; Fanny Cohen-Moreau, animatrice du podcast "Passion Médiévistes" ; Ugo Bimar, auteur-réalisateur de la chaîne Youtube Confessions d'Histoire
Le retour en grâce du moyen Âge, période à "fantasmes"
On commence par la chaîne Youtube "Confessions d'Histoire
". L'idée : parodier les "confessionnaux" des émissions de télé-réalité. Pourquoi choisir cette forme ? "L'absence de moyens pour les décors
", s'amuse Ugo Bimar. "En terme de vulgarisation historique, c'est l'une des chaînes les plus carrées, où il y a le moins de petites erreurs à aller chercher
", insiste Pauline Guena. "Le gros avantage de Confessions d'Histoire, ce sont les notes en ligne sur le site
", se félicite Florian Besson. Même si "personne ne va les voir
", avoue Ugo Bimar. "Le Moyen Âge c'est fascinant, parce qu'on a l'impression de pouvoir creuser infiniment
", résume Pauline Guena.
Comment expliquer le retour en grâce du Moyen Âge aujourd'hui ? "Est-ce que ce n'est pas justement parce que c'est une période sombre, mal connue, et donc qu'on peut y loger beaucoup de fantasmes ?
", s'interroge Guena. "Depuis dix-quinze ans, il y a eu un travail de fond de la part de ceux qui étudient le Moyen Âge de rendre leurs travaux plus accessibles sur internet
", analyse de son côté Fanny Cohen-Moreau, animatrice du podcast Passion Médiévistes. Un travail de vulgarisation au long cours. Les études de genre ont permis par exemple de redécouvrir que les femmes au Moyen Âge pouvaient avoir "du pouvoir, de l'influence
". "C'est même le seul moment"
, abonde Ugo Bimar (sur l'invisibilisation des femmes, voir notre série de chroniques avec Mathilde Larrère).
Établir des passerelles entre le présent et le Moyen Âge, c'est le but du site Actuel Moyen Âge. Avec des articles sur le changement climatique, les "sorcières de la pop
" (les sorcières sont une thématique de la rentrée, avec l'ouvrage Sorcières, la puissance invaincue des femmes
de Mona Chollet). Autre exemple : quand Jean-Luc Mélenchon assure qu'en tant que parlementaire "[s]a personne est sacrée". "Quand Jean-Luc Mélenchon dit, ma personne est sacrée, on a tout de suite pensé au sacre du corps du roi
", se souvient Florian Besson.
Kaamelott et Game of Thrones, même combat ?
Impossible de parler de Moyen Âge et de séries télés sans parler de Kaamelott
, la série d'Alexandre Astier (qui s'amuse de l'Histoire, comme le racontait déjà Florian Besson). "Beaucoup de gens font le parallèle entre Confessions d'Histoire et
Kaamelott, de par le ton
", raconte Ugo Bimar. Il dit pourtant ne s'en être pas inspiré. Les références sont plutôt à chercher du côté de 2 heures moins le quart avant Jésus-Christ
de Jean Yanne. Autre série marquante : Game of Thrones
, univers de fantasy médiévale, auquel Florian Besson a consacré avec des consœurs un papier de recherche. "C'est de la fantasy, mais pas de l'héroïc-fantasy, on est plutôt dans de la gritty-fantasy
". Une fantasy où les héros meurent, à l'inverse du Seigneur des Anneaux
de Tolkien, par exemple.
Ces deux séries sont-elles à l'origine de la vision du Moyen Âge chez les plus jeunes aujourd'hui ? "Attention,
Kaamelott, c'est pas plus historique que
Game of Thrones", prévient Ugo Grimar de son côté. Le Roi Arthur en lui-même est un mythe, et plusieurs épisodes utilisent des références magiques, de jeux de rôle, etc. Mais l'influence de la fiction sur l'intérêt pour le Moyen Âge n'a rien de nouveau, pointe Florian Besson. "Quand on interviewait George Duby ou Jacques Le Goff, qui sont les médiévistes les plus célèbres, ils disaient bien qu'ils étaient venus au Moyen Âge par les films de leur époque,
Ivanhoé,
Robin des Bois des années 1930, Errol Flynn en collants verts
". "Très souvent, les bons étudiants sont ceux qui sont fascinés par ces séries-là et maîtrisent bien les cours
", abonde Pauline Guena.
Zemmour contre les historiens ?
Retour dans le présent. Le mouvement des Gilets jaunes a régulièrement été comparé aux "jacqueries" (dont parlait déjà Mathilde Larrère dans une chronique). Une comparaison qui n'est pas adaptée, pour Pauline Guena. "Dans les sociétés médiévales très fragmentées, il n'y a pas du tout d'effet de généralisation comme on en observe avec les Gilets jaunes
".
Focus sur Zemmour, qui s'est penché dans Destin français
sur les croisades. Ses propos lui ont valu un fact-checking sur le site d'Actuel Moyen Âge. L'idée n'est pas de décrypter sa vision politique de l'histoire, rappelle Florian Besson, mais de pointer ses erreurs factuelles. Face à un Zemmour qui assure que l'histoire des croisades est dénaturée par les historiens actuels, une guerre des historiens contre sa vision, Pauline Guena répond : "Il y a un débat entre historiens permanent, et il n'y a pas forcément de complot
[contre Zemmour]". Sur les croisades mêmes, les avis divergent par exemple sur la question de la motivation de la première croisade, ajoute Florian Besson. "Aujourd'hui, on a une vision beaucoup plus complexe, beaucoup plus nuancée, et finalement plus positive qu'on a longtemps eu des croisades
".