Sans-abri : "Ce qui n'est pas rendu visible médiatiquement n'existe pas"
La rédaction - - (In)visibilités - 23 commentaires
"Bombe sociale", "crise inédite", "bombe du logement à retardement" : dans les médias, les superlatifs ne manquent pas. Tout autant de formules chocs, dans la bouche des associations et des journalistes, censées alerter les pouvoirs publics sur la situation du mal logement et du sans-abrisme en France. En face, un gouvernement ou plutôt, un mur, qui n'entend rien et choisit de répéter ses éléments de langage sans jamais répondre aux inquiétudes des collectifs et des personnes concernées.
Qu'est-ce que ces interpellations disent de la manière de mettre ce sujet à l'agenda médiatique et politique ? Comment faire pour transformer une sonnette d'alarme en politique publique sérieuse sur le logement ? Bref, comment se faire entendre une bonne fois pour toutes ? Quatre invités sur ce plateau pour répondre à nos questions : Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé Pierre, Edouard Gardella, sociologue au Laboratoire interdisciplinaire d’études sur les réflexivités, chargé de recherches au CNRS, spécialiste de la politique sociale destinée aux personnes sans abris en France ; Sophie Follioley, enseignante à l’école primaire Felix Faure, dans le 15ème arrondissement de Paris et membre du collectif Jamais sans toit ; Guillemette Soucachet, coordinatrice de la mission "Pas de santé sans toit" à Médecin du monde.
"Des élèves de 4 à 10 ans dorment dans le métro ou sous un pont"
Sophie Follioley est enseignante d'une école du 15ème arrondissement de Paris, un des plus quartiers les plus riches de France en 2022 selon l'Observatoire des inégalités. Avec des collègues et plusieurs parents, elle se mobilise pour venir en aide à des élèves sans domicile des écoles de leur quartier. "Ce sont des enfants de la maternelle, de 4 ans à 10 ans en CM2 . Ils dorment dans le métro, sous un pont, dans des halls d'accueil d'hôpitaux. Certains ont trouvé des solutions d'hébergement d'urgence, en banlieue très lointaine, à plus d'une heure de transport mais c'est très provisoire : à la fin du mois ce sera terminé. On voudrait un centre d'hébergement d'urgence dans le 15ème arrondissement, près de leur école."
"Tous les 115 hiérarchisent les appels"
Pour trouver un hébergement d'urgence, les personnes sans abri doivent appeler le 115. Ce sont ces appels au 115 non pourvus qui permettent d'estimer le chiffre des personnes à la rue, explique Christophe Robert : "C'est le seul thermomètre que nous ayons. Ce sont donc les gens qui appellent le 115 et à qui on dit : «Désolé, il n'y a pas de place» car le secteur est engorgé. En novembre, ils étaient 8000 dont dont 3 000 enfants. [...] Ce que nous observons c'est que partout sur les territoires, entre la moitié et les deux tiers des personnes n'appellent même plus le 115 ! Comme il n'y a pas assez de la place, tous les 115 hiérarchisent les appels. [...] Le dernier servi de cette histoire ce sont les hommes seuls qui finissent par ne plus appeler."
Députés passant la nuit auprès des sans-abri : "toutes les mobilisations sont bonnes"
Pour alerter sur la situation des sans-abri, plusieurs députés de la Nupes, dont Mathilde Panot, Sandrine Rousseau et William Martinet ont décidé d'aller passer une nuit sous une tente avec les sans-abri, filmés par le Média. Une action, menée le soir de la conférence de presse d'Emmanuel Macron pour attirer les caméras, critiquée notamment par l'éditorialiste politique Alba Ventura sur RTL : "Dormir dans la rue, ce n'est pas un jeu". Pour le délégué général de la Fondation Abbé Pierre au contraire, "le sujet est tellement grave qu'il faut faire feu de tout bois et toutes les mobilisations sont bonnes. [...] Chacun fait ce qu'il veut. C'est quoi le sujet ? Est-ce que ce sont les personnes à la rue ou la manière de faire des députés ? Moi, je ne juge pas cette manière de faire".
Pour aller plus loin
- Edouard Gardella, "La solidarité individualiste, l'assistance moderne aux sans-abri et ses pathologies", Economica, mars 2023.
- Le 28ème rapport annuel sur le mal-logement en France, Fondation Abbé Pierre, 31 janvier 2023.
- "Mortalité des personnes sans domicile en 2022 : dénombrer et décrire", par le collectif Morts de la rue, novembre 2023.