Retraites : "Nous assistons à un réveil démocratique face à une dérive autoritaire"

La rédaction - - Médias traditionnels - 58 commentaires


Le vendredi 14 avril, le Conseil constitutionnel a validé la réforme des retraites. La fin du "cheminement démocratique" selon l’élément de langage répété en boucle par l’exécutif. Pourtant, le "peuple" n’a pas fini de vouloir se faire entendre : manifestations spontanées, rassemblements, concerts de casseroles… Tout est bon pour continuer à espérer une abrogation du texte à la façon "Contrat première embauche" de 2006. Emmanuel Macron veut, lui, passer à autre chose tout en répétant inlassablement que sa porte est toujours grande ouverte. Mais ce qui était une contestation sociale s’est transformée en contestation politique. Les images des manifestations spontanées sur nos écrans, les casserolades, la riposte sémantique d'Emmanuel Macron face caméra, les critiques acerbes de certains intellectuels, ne disent-ils pas plus qu’une simple contestation politique de conjoncture ? À quoi assistons-nous ? Pour quels risques futurs ? Trois invité·es répondent à ces questions : Paloma Moritz, journaliste à Blast, Marc Crépon, philosophe et directeur de recherche au CNRS et Elsa Marcel, avocate et militante du mouvement Révolution permanente.

Une stratégie de disqualification permanente

Au soir-même de l'allocution d'Emmanuel Macron le 17 avril 2023, l'historien de la vie politique, Pierre Rosanvallon, a eu des mots très forts sur le plateau de Quotidien, sur TMC, pour qualifier la situation politique actuelle. "Nous sommes en train de traverser, depuis la fin du conflit algérien, la crise démocratique la plus grave que la France ait connue". En réponse, lors de son déplacement à Sélestat (Bas-Rhin), Emmanuel Macron n'a pas raté de le décrédibiliser en le qualifiant de "militant". "Emmanuel Macron le disqualifie, fait comme si sa parole n'a pas d'importance car elle servirait un dessein politique. Mais Pierre Rosanvallon n'a pas de dessein politique, il est historien, intellectuel et pose un constat. [...] À chaque fois qu'il y a eu des dénonciations des violences judiciaires, les violences policières, les dérives autoritaires, on a un pouvoir qui reste sourd et qui critique ceux qui portent ces messages-là. C'est là qu'on bascule dans une forme de presque post vérité aujourd'hui", alerte Paloma Moritz.

Emmanuel Macron "a fragilisé la confiance dans les institutions"

Emmanuel Macron le répète à l'envi. La réforme des retraites est démocratique et conforme à la Constitution. Ce que concède le philosophe Marc Crépon : "On ne peut pas dire que cette loi ait fait violence à la constitution. De ce point de vue-là, elle reste démocratique". Mais, ajoute-t-il : "En démocratie, lorsqu'on est président de la République, on n'est pas seulement comptable du fonctionnement des institutions, on est aussi comptable de l'attachement aux institutions, des citoyens. Ce qui a été fragilisé, c'est cet attachement, cette confiance". Et de s'interroger : "Comment  allez-vous croire qu'il est encore important d'élire un Parlement si lorsqu'un Parlement est opposé à une loi et en phase avec la population, on passe en force pour la faire adopter ?"

Entre le pouvoir et le peuple, "il n'y a plus de langage commun"

Ce qui amène nos invités à s'interroger sur le rapport du pouvoir d'Emmanuel Macron et de l'exécutif tout entier au réel. Lors de son allocution télévisée du 17 avril, le président de la République a affirmé avoir ces dernières années "protégé les plus faibles et tenu l'unité du pays". Pour Marc Crépon, cela illustre la "décrédibilisation de la parole : celle du président, celle des syndicats que le gouvernement n'entend pas, celle du peuple que le gouvernement n'entend pas. Ce qui fait que la démocratie est réellement fragilisée, c'est cette impasse-là. Il n'y a plus de langage commun." Paloma Moritz va encore plus loin dans l'analyse : "À partir du moment où on a un pouvoir qui déforme le langage, qui s'arrange avec le sens, il y a un énorme danger car il ne reconnait plus la réalité (...). C'est aussi la porte ouverte aux populismes et une sorte de tapis rouge qui est de plus en plus déroulé à l'accession au pouvoir du Rassemblement national". 

"Un mouvement politique et social profond"

La contestation est aujourd'hui massive. Elle ne se résume ni à la question de la réforme des retraites, ni aux seuls manifestants derrière l'intersyndicale. Preuve en est le 12 avril 2023, lors de la prise de parole de Dominik Moll, réalisateur primé aux César, aux côtés du ministre de l'Education nationale Pap Ndiaye, raillant "un gouvernement et un président qui préfèrent imposer plutôt que de dialoguer et qui préfèrent donner des leçons. "Je trouve ça exceptionnel, déclare Elsa Marcel. On voit la profondeur du mouvement y compris des différents secteurs sociaux impliqués et surtout, ça confirme que la séquence n'est pas terminée."

Pour aller plus loin

- Emmanuel Macron, Les labyrinthes du politique. Que peut-on attendre pour 2012 et après ?, Revue Esprit, mars/avril 2011.
- Pierre Rosanvallon : "Il y a chez Emmanuel Macron une arrogance nourrie d'ignorance sociale", Libération, 3 avril 2023.
En Alsace, Emmanuel Macron prend la colère en pleine figure, Mediapart, 20 avril 2023. 
- Notre dossier complet sur la réforme des retraites.

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