Militants climat : les médias veulent "des jeunes femmes apeurées"

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Les 577 députés de la nouvelle législature ont pris leurs quartiers à l’Assemblée nationale en plein épisode caniculaire, pendant que militants climat et scientifiques tentent d'alerter tant bien que mal sur la gravité du dérèglement climatique. Ce sont bien ces parlementaires qui vont devoir produire des textes de loi pour lutter contre le dérèglement et pourtant, la crise politique actuelle et le blocage parlementaire font craindre de repousser encore aux calendres grecques les décisions en la matière. Comment continuer d'intéresser les médias à ces sujets ? De quelle manière les faire exister sur les plateaux télés ? Comment sortir des procès en radicalité ? C’est à ces questions que nous tenterons de répondre aujourd’hui avec deux invitées : Sasha*, étudiante, militante pour Dernière rénovation, un collectif qui se bat pour imposer un plan public massif de rénovation énergétique du parc immobilier français d’ici à  2040, et Salomé Saqué, journaliste à Blast et chroniqueuse à  LCP et Arte. Voici trois extraits commentés de notre émission :

"Ce n'est pas une lubie des jeunes d'être radical"

Le 16 juin dernier, Sasha est invitée sur RMC par la présentatrice de la matinale, Apolline de Malherbe. Durant la même séquence, intervient au téléphone Matthieu Orphelin, ancien député LREM ayant quitté la majorité macroniste en 2019, et qui ne s’est pas représenté aux législatives (notre invité le 10 juin dernier). L'interview est partagée des milliers de fois sur Twitter et Apolline de Malherbe est l'objet d'articles très critiques, jusque dans la presse people.  

Dans cet entretien d'une dizaine de minutes, Sasha est interpellée sur les modes d'action de Dernière rénovation, jugés trop radicaux par la journaliste : blocage en mars et en avril dernier du périphérique parisien et de l’Autoroute A13 ou encore lorsqu’une camarade de Sasha s’est accrochée aux filets de la demi-finale hommes de Roland Garros le 3 juin 2022, interrompant le match pendant une dizaine de minutes. "Est-ce qu'il faut absolument être radical pour faire évoluer les choses sur le climat ?", démarre Apolline de Malherbe à Sasha, qui insistera à plusieurs reprises durant l'interview sur cette radicalité. 

"Je pourrais vous retourner la question, lui rétorque la militante. Est-ce que pour vous c'est être radical que dix personnes s'assoient non violemment sur une route face à ce qui va nous attendre les dix prochaines années ? Un milliard de personnes qui vont devoir bouger chez de eux parce qu'ils ne pourront plus y vivre". "La question de la radicalité ça peut être très intéressant, commente Sasha sur notre plateau, mais je n'étais pas là pour parler de cela [...] Aujourd'hui, ce qui est radical c'est de penser qu'on va continuer à vivre de la même manière dans les prochaines années [...] Ça ne me fait pas plaisir de faire les actions qu'on fait en ce moment et ce n'est pas une lubie des jeunes d'être radical". 

SASHA DANS "TPMP" : "Ce genre de séquence restera dans les annales de l'histoire"

Le lendemain, le 17 juin 2022, l'hostilité est encore plus forte sur le plateau de Touche pas à mon poste sur C8. Cette fois-ci c'est un présentateur, Benjamin Castaldi, accompagné de sa dizaine de chroniqueurs, qui s'en prennent à Sasha : moqueries sur le combat mené, attaques en rafale sur les méthodes du collectif, procès en alarmisme, huées du public. La militante n'a quasiment jamais la possibilité de se défendre, pas même de finir une phrase. Pour Salomé Saqué, "ce genre de séquence, et je le dis en pesant mes mots, restera dans les annales de l'Histoire. C'est déjà insupportable, mais dans quelques années ça nous sera collectivement insupportable, quand on a conscience de la gravité de ce qui se joue en se basant sur les rapports du Giec."

"Faut pas dire que c'est mort" 

Sur les plateaux télés, les militants comme Sasha ne sont pas les seuls à tenter d'alerter l'opinion et les décideurs à la crise climatique et environnementale. Les scientifiques s'époumonent eux aussi, implorant les décideurs d'agir. Parfois, leur déception face au manque d'action publique climatique d'ampleur est formulée sans filtre. Comme lorsque le chercheur et coauteur des rapports du Giec, François Gemenne, interrogé sur le fait qu'on puisse encore agir, répond mot pour mot sur le plateau de C ce soir sur France 5 :  "C'est mort", il est bien trop tard au vu de l'augmentation des gaz à effet de serre. Une expression choc mais qui ne convainc pas nos invitées. 

"Faut pas dire que c'est mort en fait,réagit Sasha. On peut encore éviter le pire, et pour ça, il faut responsabiliser les gens [...] Le rapport du Giec nous dit aussi que la différence entre un réchauffement à 1,5 et un réchauffement à 2 voire 3 degrés est énorme." Pour Salomé Saqué, "en termes de stratégie, je trouve que c'est totalement contreproductif, et problématique qu'un scientifique dise ça. En revanche, je ne peux pas le blâmer. Je n'imagine pas ce que c'est que de travailler sur ces sujets, d'avoir conscience de la catastrophe qui arrive, et encore une fois le mot catastrophe n'est pas excessif et de ne pas être écouté". 

Pour aller plus loin :

- Un article sur le site de Radio France, "Qui sont les jeunes qui manifestent pour le climat", avec l'étude des sociologues du collectif Quantité critique, émission La Terre au carré, France Inter, 12 mars 2020.
- Le site du collectif Dernière rénovation et leur revendication d'un plan massif de rénovation énergétique des bâtiments en France par un système de financement progressif de prise en charge des travaux pour les propriétaires.
- "Climat : militer dans l'urgence", émission À l'air libre (Mediapart), 19 mai 2022.

* La jeune militante a choisi de ne pas dévoiler son nom de famille pour protéger sa vie privée. 

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