Migrants : "En 1938, il n'y avait pas de Jean-Jacques Bourdin"

La rédaction - - 39 commentaires

Retour comparé sur la conférence d'Evian de 1938, et les arrivées de migrants


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Des milliers de réfugiés sur les routes franchissant les montages pour passer les frontières, refoulés par des nations recroquevillées qui craignent la submersion. Il y a exactement 80 ans, jour pour jour, en juillet 1938 s'ouvrait la conférence d'Evian, qui devait s'achever sur un constat implacable : personne dans le monde ne voulait accueillir les Juifs persécutés par Hitler, ni les opposants politiques anti-nazis. Quelles ressemblances, quelles différences, entre deux époques (1938 et aujourd'hui), entre les deux traitements médiatiques des réfugiés d'hier et des migrants d'aujourd'hui. Pour en discuter, trois invités : Catherine Nicault, historienne spécialiste de l'histoire des Juifs et de la diplomatie ; Amélie Poinssot, journaliste à Mediapart en charge des questions de politique migratoire ; et Yvan Gastaut, historien spécialiste de l'immigration en Méditerranée.

Et la conférence d'evian accoucha d'une "coquille vide"

On commence par revenir sur le contexte de la conférence d'Evian, à partir du documentaire de Michel Vuillermet "Evian 1938 : la conférence de la peur" (2009). Après l'Anschluss autrichien de mars 1938 (dont Daniel Schneidermann vous parlait dans sa chronique), les Juifs et opposants persécutés fuient le Reich par dizaines de milliers. Sous l'impulsion des Etats-Unis, et du président Franklin Roosevelt, un comité intergouvernemental se réunit à Evian pour tenter de trouver une solution à cet exode massif. Une manière pour Roosevelt d'intéresser l'opinion américaine aux affaires du monde, explique Catherine Nicault. Amélie Poinssot ne connaissait pas le documentaire. Elle est frappée par "le fait que la conférence se termine par un non-accord", une "coquille vide" que sera le comité intergouvernemental pour les réfugiés. "C'est ce qui se joue à Bruxelles en ce moment".

Retour sur plusieurs interventions lors de la conférence d'Evian et sur l'importance des négociations financières, à l'époque déjà. Aujourd'hui encore, les questions d'argent jouent un rôle, intervient Amélie Poinssot. Exemple avec l'accord entre l'Union Européenne et la Turquie en 2016.

Le parcours des réfugiés est-il "désincarné" ?

Que dit la presse en 1938 de la conférence qui s'est tenue à Evian ? "Pas un mot, pas un article", répond Daniel Schneidermann dans sa cinquième chronique sur l'année 1938 vue par la presse française (la série de chroniques est à voir ici). "Les Français ne se sentent pas concernés" par les problèmes des réfugiés juifs, pour Yvan Gastaut. Pour lui, ce sont plutôt les réfugiés espagnols qui attirent l'attention. 

Aujourd'hui, y a-t-il la même médiatisation enthousiaste qu'après l' "accord" trouvé à Evian ? "Les journalistes qui suivent ça à Bruxelles ne sont pas forcément des spécialistes du droit d'asile ou des questions migratoires", nuance Amélie Poinssot. Exemple de projet très médiatisé ces dernières semaines : les centres fermés, défendus par la ministre des Affaires Européennes Nathalie Loiseau. "Politiquement, ils ne veulent pas assumer le fait que la France se met en arrière-plan".  Pour Poinssot, la presse se concentre davantage sur le "spectaculaire", comme la mort du jeune garçon syrien, Aylan, en septembre 2015.  Pour Yvan Gastaut, en 1938, la question des exilés juifs est elle aussi "désincarnée".

1938-2018 : Des arguments qui persistent

Retour sur les débats qui entourent l'accueil des réfugiés, en 1938 et aujourd'hui. Un des arguments avancés est le même aux deux époques : les pays d'accueil potentiels ont atteint leur capacité maximale. Argument avancé aujourd'hui encore par la France, et qui ne passe pas aux yeux du ministre italien de l'Intérieur Matteo Salvini

Derniers intervenants de cette histoire : les associations. Non invitées à la conférence d'Evian, elles s'y rendront, réduites à un simple rôle d'observation. Aujourd'hui, les ONG se retrouvent accusées d'être les "complices" des passeurs, comme dans le cas récent du bateau Lifeline. Pour Yvan Gastaut, "le passeur ne  peut pas être criminalisé au niveau où il l'est aujourd'hui, c'est une manière de se dédouaner sur lui". 

Pour conclure, une question aux invités : les choses ont-elles vraiment changé entre 1938 et aujourd'hui ? En 2018, "il n'y a pas un risque imminent de guerre [comme en 1938, ndlr], on est dans des pays riches, pointe Amélie Poinssot.  Nous avons tous les moyens qu'il faut" pour accueillir les réfugiés, "et nous n'arrivons pas à le faire". "Nous n'avons pas la volonté de le faire", ajoute Catherine Nicault, qui partage avec Yvan Gastaut cette conclusion pessimiste.

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