Martinique : "Il y a un déni français de la question coloniale"

La rédaction - - Médias traditionnels - 21 commentaires


Depuis le 1er septembre 2024, la Martinique est en proie à un nouveau mouvement social avec pour revendication principale, l’éternel sujet de contestation populaire : la vie chère sur l’île de 360 000 habitants. En première ligne : une association toute récente, le RPPRAC (Rassemblement pour la Protection des Peuples et Ressources Afro-Caribéennes) et son président, Rodrigue Petitot, au parcours judiciaire médiatiquement disséqué.

Dès le 5 septembre et le début de la mobilisation, les négociations entre le préfet, les élus, les acteurs économiques et le RPPRAC ont démarré, sur fond de violences, pillages, incendies causant quatre morts parmi les émeutiers. Le 16 octobre 2024, un protocole d'accord a été trouvé actant une baisse de 20 % du prix de 6 000 produits alimentaires en Martinique dès janvier 2025. Largement insuffisant pour le RPPRAC, qui n’a pas signé le texte et appelle à continuer la mobilisation sur le terrain.

Quels sont les ressorts de cette mobilisation ? Qui sont les acteurs du débat ? Pourquoi de telles mobilisations ne cessent de se répéter sans que des solutions durables ne soient trouvées ? Au-delà de la question des prix élevés, qu’est-ce qui se joue actuellement en Martinique ? Trois invités martiniquais répondent, depuis la Martinique, à ces questions : Barbara Jean-Elie, journaliste à Via AV et Zitata TV, deux chaines locales martiniquaises, Gabriel Jean-Marie, secrétaire général CGT Martinique et Zaka Toto, doctorant en histoire et en sciences politiques, fondateur de la revue martiniquaise en ligne Zist

"Avec Rodrigue Petitot, on est dans la maitrise absolue de la communication" 

Le succès de la mobilisation autour de la vie chère repose en partie sur la communication maitrisée par l'association RPPRAC et son président. "Avec Rodrigue Petitot et le RPPRAC, on est dans une maitrise absolue de la communication que permettent les réseaux sociaux", analyse Barbara Jean-Elie, qui l'a interviewé pour son émission, avant le début de la mobilisation. "On n'a jamais connu cela. En 2009, il y avait déjà les réseaux sociaux mais pas ce niveau de virilisation. Avec leur mouvement, ils administrent un cours de communication totale".

"La dépendance économique de la Martinique est organisée par l'état français"

"Il y a un déni français de la question coloniale et un non-dit historique alors que c'est le coeur du problème", analyse Zaka Toto. "Notre déclassement, notre enclavement, notre dépendance à la France ne sont dus qu'au passé colonial. Ce passé colonial se transforme mais cette dépendance économique persiste et est organisée dans les années 60 par la doctrine Debré. C'est une politique de l'Etat de nous rendre dépendants, sans favoriser notre capacité à subsister par nous-mêmes et a être intégrés dans notre region". 

Un béké travaillant pour Bolloré présenté comme simple chef d'entreprise sur Cnews

La crise sociale de la Martinique a amené les médias à tendre le micro à des chefs d'entreprise de l'île. C'est ce qu'a fait Cnews, la chaîne du groupe Bolloré, le 11 octobre 2024 en interrogeant Emmanuel de Reynal, communicant et... président de Havas Publidom, lié au groupe Bolloré ! La chaîne ne le précise jamais, de même qu'elle ne mentionne pas qu'il est un béké, un descendant de colon esclavagiste. "Ce qu'il représente en termes de classe sociale, en termes de classe ethno-sociale et son statut dans notre société est complément évacué", précise Zaka Toto. "C'est d'ailleurs quelqu'un de très présent dans notre société et dans le débat public, il publie des ouvrages. Ce n'est pas du tout un simple chef d'entreprise qui exprime son désarroi a l'antenne".

ALLER PLUS LOIN

Barbara Jean-Elie, “Martinique libre”, juin 2022, Diasporamix

"A cœur ouvert", entretien avec Rodrigue Petitot, septembre 2024

"Caraïbe Caspienne, l'Azerbaïdjan et l'anticolonialisme", entretien avec la doctorante en géographie politique Yéléna Mac-Glandières, Zist, octobre 2024

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