Maires agressé·es : "La plus dure violence que j'ai affrontée, c'est la violence d'État"

La rédaction - - Médias traditionnels - 16 commentaires


"Communes attaquées, république menacée" : c'est le slogan grandiloquent du 105e traditionnel Congrès des maires de l'Association des maires de France (AMF), qui vient de se tenir à Paris du 20 au 23 novembre 2023. Quatre jours durant lesquels les élu·es se sont retrouvé·es pour mettre sur la table le sujet des conditions d'exercice de leur fonction et surtout, tenter d'influer dans les futures politiques publiques. Pour illustrer ce raout annuel, les JT ont largement mis le zoom sur les violences à l'encontre des maires, l'un des points développés dans une enquête du Cevipof publiée en partenariat avec l'AMF à cette occasion.

Mais de quel type de violence parle-t-on ici ? Qui en sont les auteurs et autrices ? Dans quel contexte ces agressions s'intègrent-elles ? Ces violences expliquent-elles les démissions en hausse chez ces élu·es ? Les médias en font-ils trop sur cette figure du maire, tantôt victime, tantôt héros ou héroïne ? Ils et elles sont les "remparts de la République", affirment les médias, sans qu'on ne sache bien ce que cela veut dire. Pour y répondre, nous recevons trois invités : Stéphane Gatignon, ancien maire démissionnaire de Sevran, en Seine-Saint-Denis, de 2001 à 2018 ; Martial Foucault, politologue, directeur du Cevipof et auteur de l'étude en question ; et Farah Zaoui, juriste qui a conseillé Anticor et conseille aujourd'hui les élus locaux sur les questions liées à l'éthique et à la corruption. 

"Je remarque que l'enquête, qui ne portait pas sur les violences, a été traitée médiatiquement sur le sujet des violences"

C'est une enquête sur les maires de France qui paraît chaque mois de novembre, depuis 2018, à l'occasion de l'ouverture du Congrès annuel des maires de France. Cette année, une très grande partie de la couverture médiatique de cette étude a porté sur la question des violences envers les maires. Pourtant, insiste son auteur Martial Foucault, "je remarque que l'enquête, qui ne portait pas sur les violences, a été traitée médiatiquement sur le sujet des violences. Les entreprises de presse ont leurs propres agendas pour savoir ce qui peut produire un bruit médiatique. C'est pourtant une très longue enquête, 70 questions, 45 minutes d'entretien avec les maires et je dirais que 10 % de l'enquête portait sur les violences, violences objectivables et sentiment d'insécurité. Moi-même, j'ai été surpris et dépassé de voir que toutes les sollicitations médiatiques que je recevais ne portaient essentiellement que sur les violences. Et d'ailleurs, parfois, cela produit beaucoup d'erreurs." Et de préciser : "Les violences physiques, ce n'est pas le quotidien des maires. Le quotidien des maires c'est davantage les incivilités, injures et insultes."

"La plus dure violence que j'ai eu a affronter, ça a été la violence d'État"

Sur notre plateau, Stéphane Gatignon, maire de Sevran de 2001 à 2018, raconte comment la violence a pu s'exercer lorsqu'il était aux responsabilités. "Moi, la violence, je l'ai vécue tout au long de mon mandat. Ca a pu être de la part des administré·es, sur des situations complexes, à des moments précis. Et puis, il s'agit d'un territoire où il y avait les enjeux liés au trafic de stupéfiant. Tout cela crée une situation de violence. Ça fait partie de l'ensemble, de la vie et de la politique. On est en permanence en train de gérer les contradictions. La violence elle est partout. Mais, précise-t-il, moi, j'ai attrapé une fois, avec cinquante personnes autour de la table, un sous-préfet par le col et j'ai failli lui mettre un coup de boule. La plus dure violence que j'ai eu à affronter, ça a été la violence d'État, quand on parlait de la rénovation urbaine, on essayait toujours de nous mettre dans les cordes. C'est un combat de boxe permanent et ça, c'est de la violence dure."

Le retour au cumul des mandats ? "Un faux débat"

L'enquête du Cevipof et le Congrès des maires permettent à l'AMF et aux maires de mener une opération de lobbying à grande échelle pour faire avancer leurs revendications. Parmi elles, le retour au cumul des mandats défendue par certain·es, dont le président du Sénat, Gérard Larcher, ancien maire de Rambouillet (Yvelines), alors que la loi interdit aujourd'hui d'être parlementaire tout en exerçant des fonctions de maire, de président de conseil départemental ou régional. Ils brandissent le cumul comme le moyen d'un ancrage local quotidien désormais impossible. Farah Zaoui s'inscrit en faux. "D'abord, il est possible de cumuler un mandat local comme conseiller municipal et un mandat parlementaire. Ce n'est pas un argument valable." Et de préciser : "Je forme beaucoup dans les territoires ruraux et en réalité, les maires ne demandent pas plus de cumul mais plus de moyens, plus d'adéquation entre la vie privée, leur activité professionnelle et leur activité de maire. Ils veulent mieux comprendre ce qui est attendu d'eux. C'est un faux débat qui cache la forêt des carences du statut de l'élu local."

Pour aller plus loin

"Des maires engagés mais empêchés", l'enquête du Cevipof avec l'Association des Maires de France et sa synthèse, novembre 2023.
"Congrès des maires, pourquoi tant de démissions", Public Sénat, 21 novembre 2023.
"À Saint-Etienne, le maire, la sextape et le chantage politique", une enquête au long-cours de Mediapart, août 2022.

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