Lola : avec Hanouna, "il y a la victime, le coupable et personne d'autre"

La rédaction - - Déontologie - Coups de com' - 33 commentaires


Onde de choc, horreur absolue, barbarie : autant de mots extrêmement forts utilisés dans les médias pour qualifier le meurtre de Lola, 12 ans, dont le corps sans vie a été découvert vendredi 14 octobre 2022 dans une malle dans la cour de sa résidence dans le 19e arrondissement de Paris. Depuis, pas un jour sans que les médias n'apportent un développement, un témoignage, une réaction politique. À quel traitement médiatique avons-nous affaire depuis désormais deux semaines ? Y-a-t- il eu des dérives ? Que veulent dire les nombreuses réactions politiques depuis le 15 octobre ? Pour répondre à ces questions, trois invités aujourd'hui : Claire Sécail, historienne des médias au CNRS, Mathieu Molard, rédacteur en chef du site d’information en ligne Streetpress, et Arnaud Philippe, économiste de la criminalité à Bristol en Angleterre, auteur de La Fabrique des jugements : comment sont déterminées les sanctions pénales (La Découverte, février 2022).

L'hypocrisie de BFMTV

Le 19 octobre 2022, BFMTV invitait Stanislas Rigault, porte-parole de Reconquête. Le journaliste présentateur Bruce Toussaint s'emportait contre l'instrumentalisation de la mort de la fillette par le parti d'Éric Zemmour qui appelait à une manifestation pour Lola. "Cet enfant n'est pas encore enterrée, c'est indécent ce que vous faites sur cette affaire", a-t-il crié sur le plateau, indigné. "Enlevez ces hashtags, demande-t-il, c'est un père de famille qui vous le dit."  "On invite Stanislas Rigault de Reconquête, porte parole d'Éric Zemmour, pour commenter un fait divers sordide, et après on s'étonne que ce porte-parole essaye d'utiliser ce fait divers pour amener des adhérents, du soutien et faire de la propagande politique, explique Mathieu Molard. Il y avait une solution magique, c'était de ne pas l'inviter. À un moment, je trouve qu'il y a une espèce d'hypocrise là-dessus. Tout ca est un vaste théâtre, Rigault incarne le méchant, Bruce Toussaint a le beau rôle, tout le monde est content."

Un journal allemand publie la nationalité des mis en cause de la rubrique faits divers

En Allemagne, le journal régional Sächsische Zeitung, dans la région de Saxe, autour de Dresde, a décidé en 2016 de donner systématiquement la nationalité de tous les mis en cause dont il parle dans ses pages, délinquants et criminels, Allemands comme étrangers. "Ce journal a pris le contrepied, explique Arnaud Philippe. Il s'est dit : «Le problème qu'on a, c'est qu'on donne des éléments qui permettent d'identifier l'origine de la personne seulement quand il est d'une origine non allemande. Cela fait une loupe grossissante sur le phénomène de la délinquance et de la criminalité étrangères. Dans les autres cas, quand les mis en cause sont allemands, on ne dit rien.» Après cette décision éditoriale, la crainte vis-à-vis de l'immigration s'est mise à diminuer dans les localités où le journal était diffusé. Cela a plutôt eu un effet bénéfique en montrant que l'écrasante majorité des délits et des crimes en Allemagne sont le fait des Allemands." Ce n'est pas rien quand on sait que c'est dans la région qu'est né le groupuscule d'extrême droite xénophobe et anti-musulmans Pegida.

Cyril Hanouna, le populisme pénal et la binarité des positions

Cyril Hanouna a longuement évoqué la mort de Lola sur son plateau de TPMP. En direct, il a demandé à ce qu'il y ait un "procès immédiat en quelques heures", avec "une peine de prison à perpétuité directe" pour la meurtrière présumée. Cyril Hanouna "favorise le populisme pénal" pour Claire Sécail. "Dans son approche du fait divers, explique la chercheuse, on retrouve les ressorts de ses émissions, c'est-à-dire cette binarisation des positions : il y a la victime, le coupable et il n'y a personne d'autre. On réduit le fait divers à une confrontation entre une personne qui souffre ou qui a souffert ou son entourage et celui qui fait souffrir, ou son entourage. Contrairement aux autres récits fait-diversiers où ceux qui permettent une politisation des sujets, existent. Cela entretient ce populisme pénal car cela veut dire qu'on est impuissant. S'il y a une victime qui souffre et la personne qui fait subir et qu'il n'y a pas d'autorité autour pour protéger, pour réparer , pour l'État de droit, ça veut dire qu'il y a derrière justice nous-même."

Pour aller plus loin

- Arnaud Philippe présente son livre La fabrique des jugements, comment sont déterminées les sanctions pénales, La Découverte, février 2022.
- Notre article sur l'emballement médiatique initial, avec la propagation de nombreuses fausses rumeurs, et la chronique de Daniel Schneidermann sur l'attitude de Cyril Hanouna.
- Un fil Twitter de StreetPressmontrant comment "l'extrême droite profite du drame de Lola pour manifester sa haine", et l'appel aux dons du média indépendant.

Lire sur arretsurimages.net.

Cet article est réservé aux abonné.e.s