"Le destinataire de la menace nucléaire russe ce n'est pas l'Ukraine, c'est nous"

La rédaction - - Médias traditionnels - 285 commentaires


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"Troisième guerre mondiale", "tournant dans la guerre", "paix inévitable", tant de formules qui inondent les récents récits médiatiques autour de la guerre en Ukraine menée par la Russie depuis le 22 février 2022. Le paradoxe est le suivant : jamais une guerre n'avait autant été médiatisée, surtout durant sa première année. Avec une particularité : tout et son contraire sur ce qu'il se passe réellement en Ukraine a aussi été rapporté. La faute à la seule propagande de guerre, aux opérations de désinformation ou à notre incapacité médiatique à rendre compte le plus froidement, cliniquement, possible de ce qu'il se passe sur le terrain ? Pour tenter d'y voir plus clair et décrypter les mots et les images de la guerre menée actuellement par l'armée russe en Ukraine, deux invités qui la suivent de très près : Anna Colin Lebedev, chercheuse en sciences politiques, maîtresse de conférences à l’université Paris Nanterre, spécialiste des sociétés post-soviétiques et Paul Gogo, journaliste indépendant, correspondant accrédité en Russie depuis sept ans. 

"MISSILES LONGUE PORTée américains : Un tournant d'un point de vue de la communication, pas d'un point de vue militaire"

L'annonce d'une autorisation par Joe Biden de l'utilisation de missiles longue portée par l'armée ukrainienne sur la Russie a été d'emblée qualifiée de "tournant" par les médias français. Pour le journaliste correspondant en Russie depuis sept ans, Paul Gogo, c'est avant tout "un tournant d'un point de vue communication, pas d'un point de vue militaire. Concrètement, cela ne représente pas beaucoup de missiles. Ce qui est très intéressant c'est que cette communication, tout monde joue le jeu en faisant le cas de chaque missile lancé, alors qu'en réalité, les Ukrainiens en ont que quelques uns et ce n'est pas quelque chose qui va changer le cours de la guerre, c'est certain". La politologue Anna Colin Lebedev prend du recul sur l'expression "tournant".  "J'ai quand même fait un certain nombre de plateaux depuis le début de la guerre et je n'arrive pas à compter le nombre d'événements que l'on a qualifiés de tournants possibles de la guerre. C'est peut être un tournant dans la couverture médiatique car cela permet d'éviter un discours trop routinier. Je pense que le tournant est quelque chose que l'on ne pourra qualifier qu'a posteriori. Et même aujourd'hui, en regardant les trois années qui viennent de s'écouler, je saurais identifier quelques moments clés mais je ne saurais pas vous dire quels étaient les tournants de la guerre".

"NOUVELLE DOCTRINE NUCLéaire" : "un très bon exemple de la propagande russe"

Autre actualité qui a occupé la couverture médiatique de la guerre en Ukraine ces derniers jours : l'annonce d'une pseudo nouvelle doctrine nucléaire russe. "Moi, je vois surtout un plan de communication, analyse là aussi Paul Gogo. Il suffit de voir comment cela a été exploité. C'est d'ailleurs un très bon exemple de la propagande russe. Cet été, on nous annonce la réécriture de cette doctrine. C'est une info qui, en tant que telle, devait faire peur. Puis, fin août, on nous fait comprendre que la doctrine est en cours de réécriture et en septembre, les Russes nous disent, « c'est bon, on a fini de la réécrire ». Vladmir Poutine avait certainement un papier dans son bureau et son stylo et il pouvait choisir quand faire un petit coup médiatique en disant : « J'ai signé cette nouvelle doctrine ». Il a attendu, c'est tombé le jour des 1000 jours avec cette annonce de Biden. Pour lui, c'était le bon moment et ça fonctionne puisqu'on en parle dans toute la presse internationale".

Arno Klarsfeld invité de BFMTV : "la voix de ces personnages médiatiques porte beaucoup plus que la mienne"

La guerre en Ukraine, est comme souvent avec ce genre de sujet, l'occasion pour les chaînes d'info en continue de renouveler sans cesse les experts qui défilent en plateau. Quitte à faire intervenir des personnalités sans aucune compétence sur le sujet. C'est ce qu'il s'est passé cette semaine sur BFMTV le 19 novembre 2024. Sur le plateau, l'avocat Arno Klarsfeld qui fait même mine d'être surpris d'être interrogé sur le sujet de la menace nucléaire russe. "Je ne peux pas me mettre dans la tête de Poutine et j'ai encore moins de compétences en matière nucléaire qu'en matière agricole" avant d'épouser la thèse russe qui se défendrait car "l'Otan est venue jusqu'à elle" et de fustiger les supposées accointances nazies de l'armée ukrainienne. Paul Gogo était en face de lui ce soir-là. "Cet invité n'avait pas grand chose à faire ici, il le dit d'ailleurs lui-même. Le problème c'est qu'il y a un conducteur, il faut que l'émission avance. Lui lance des mots-clés qui correspondent en tout point à la propagande russe et permettent au régime de justifier l'invasion de l'Ukraine. Tout ça mériterait qu'on s'arrête mais dans ce cas là, il faut prendre le temps de la contradiction. Cet invité sait qu'il ne sera pas relancé (...) Je sais que la voix de ces personnages médiatiques porte beaucoup plus que la mienne. Je me suis énervé car c'est très frustrant quand on est correspondant sur le terrain, qu'on couvre les choses de loin, qu'on n'est pas toujours écouté par Paris et que notre voix est rabaissée ou mise au même niveau que cette personne qui ne connaît pas le sujet".

ALLER PLUS LOIN

Paul Gogo, "Opération spéciale : dix ans de guerre entre Russie et Ukraine", Editions du Rocher, février 2024

Anna Colin Lebedev : "Jamais frères ? Ukraine et Russie : une tragédie post-soviétique", Points, septembre 2023

Elena Volochine, "Propagande : l'arme de guerre de Vladimir Poutine", Autrement, octobre 2024

Carole Grimaud, Les étudiants face à la guerre en Ukraine, L'Harmattan, octobre 2024


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