Jordan Bardella : "Un poisson dans l'eau médiatique complètement dépolitisée"

La rédaction - - Médias traditionnels - 65 commentaires


En pleine campagne pour les élections européennes, les médias adorent lui donner des substantifs élogieux : Jordan Bardella, la "rock star", Jordan Bardella, la "fusée", Jordan Bardella, le "gendre idéal"Au service de ce récit, plusieurs sondages mesurant les intentions de vote, qui inondent les chaînes d'information en continu et viennent, chaque semaine, accréditer le narratif d'une campagne dite réussie du candidat d'extrême droite. Un récit médiatique qui met le président de parti, tête de liste du RN aux européennes, au centre de l'attention médiatique, sans que rien ne semble l'atteindre. Même si quarante jours nous séparent encore du scrutin européen du 9 juin 2024 et, qu'on le sait, ce dernier passionne rarement les foules. 

Mais une fois le vernis de ce récit retiré, que reste-t-il de Jordan Bardella ? Que se cache-t-il derrière le Bardella médiatique ? Pour y répondre, trois invités : l'historienne Ludivine Bantigny, le journaliste Nicolas Massol, qui couvre l'extrême droite pour Libération, et le directeur des études à l'Ipsos Mathieu Gallard.

"Poisson dans l'eau" : "Ce lapsus révèle cette banalisation catastrophique et très grave"

Lundi 22 avril 2024, la matinale de France 2, Télématin, consacrait un reportage très flatteur au déplacement de campagne de Jordan Bardella à Beaucroissant (Isère). Le candidat d'extrême droite, tête de liste du Rassemblement national aux élections européennes, est comparé à une "rock star" qui serait "adulée" par la foule. Le présentateur s'appuie, pour l'accroche de son sujet, sur la Une de Libération du jour : "Banalisation du Rassemblement national : comme un poison dans l'eau". Sauf qu'il prononce "poisson" et non "poison", passant ainsi complètement à côté du jeu de mot. "Je trouve ça terrifiant, cette construction médiatique et ce lapsus incroyable qui est tellement révélateur, commente Ludivine Bantigny. Oui, il l'est, révélateur du fait qu'il s'agirait d'un poisson dans l'eau médiatique. Alors que Libé montre très bien à quel point la stratégie de normalisation se mène pas à pas. C'est le poison dans l'eau, évidemment parce que c'est l'extrême droite, que c'est la xénophobie, alors que là on est en train de nous le présenter comme une rock star pour le lisser, le policer et pour dépolitiser cette figure (....) La dépolitisation est cruelle. Il peut se présenter de manière fallacieuse en recours des Français les plus modestes mais si au lieu on l'interrogeait vraiment sur les votes du RN aussi bien au Parlement européen et à l'Assemblée nationale, si on pointait cela d'emblée plutôt que de le présenter comme une rock star, il serait beaucoup plus en difficulté. Là, il est absolument comme un poisson dans l'eau médiatique. Ce lapsus révèle absolument cette banalisation catastrophique et très grave."

"Dans cette campagne, Bardella prend peu de risques car leur objectif n'est pas de convaincre mais de mobiliser"

BFM Marseille, l'antenne locale de BFMTV, a consacré plusieurs heures d'antenne à couvrir le lancement de la campagne de Jordan Bardella dans la cité phocéenne. Au point de diffuser l'intégralité de son meeting, clip de promotion compris et images fournies par le candidat. En marquant peu de distance avec la stratégie de campagne de la tête de liste d'extrême droite. "En ce moment, le RN a de l'argent notamment grâce aux députés élus donc ils peuvent faire un coup de force, analyse Nicolas Massol. L'objectif était de montrer les muscles. Marseille c'est la région Provence-Alpes-Côte d'Azur avec énormément de députés RN (...). Marseille c'est une grande métropole où ils font de faibles scores dans une région ils font leurs meilleurs scores mais jamais ils ne feront de meetings à Toulouse, Nantes ou Lyon." Et de conclure : "La géographie des communes choisies par le RN montre que leur objectif n'est pas de convaincre mais de mobiliser (...). Le Rassemblement national prend peu de risques, leur objectif est de faire voter les gens".

"Bardella et les selfies, c'est la dépolitisation"

Comment qualifier le candidat Jordan Bardella ? Un média comme le Figaro semble avoir fait le choix de ne plus l'affubler du terme "extrême droite". Ainsi, sur plusieurs papiers récents du quotidien, Jordan Bardella est décrit comme "le jeune loup nationaliste", "le patron du parti à la flamme", "l'héritier mariniste", "le rouleau compresseur Bardella" voire "l'ogre Bardella" - mais à aucun moment le mot extrême droite n'est utilisé. "C'est un débat qui fracture la presse. Globalement pourtant, il n'y a rien qui a changé, le socle idéologique n'a pas changé mais il y a une dépolitisation qu'on voit avec Bardella et les selfies. Ce n'est pas un discours politique. La raison pour laquelle nous continuons, à Libération de dire du RN qu'il est toujours un parti d'extrême droite, c'est qu'il n' y a pas eu de rupture claire, nette et franche avec un droit d'inventaire et qu'il y a toujours à peu près le même entourage." 

Pour aller plus loin

- L'article de Nicolas Massol, "Des législatives 2022 aux Européennes, comment le Rassemblement national est devenu totalement banal", Libération, 22 avril 2024

- Le livre de Marylou Magal et Nicolas Massol, L'extrême droite, nouvelle génération, enquête au coeur de la jeunesse identitaire, éditions Denoël, avril 2024

- Celui de Ludivine Bantigny, Face à la menace fasciste: Sortir de l'autoritarisme, éditions Textuel, 2021

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