Mélenchon, 2010 : "Je veux vous foutre la trouille" [AVENT2020]

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La crise grecque va-t-elle entraîner par le fond l'Union européenne ? Les populations doivent-elles se sacrifier pour la dette ? Et quelle est la narration qui est faite de cette crise dans les médias ? Sur le round, ce 30 avril 2010, deux boxeurs : Mélenchon, alors dans l’aventure récente du Parti de gauche, et Marc Touati, économiste et financier. On ne s'ennuie pas une seconde. Mélenchon n’en rate pas une, qui dit souhaiter que les financiers quittent le pays : “On a connu ça, en 1789, ils partaient tous. Quand ils sont revenus, on les a tondus (...)”. Touati : “En disant ça, vous faites peur à beaucoup de gens…" Mélenchon : “J’espère bien (...) Je veux vous foutre la trouille”. Ambiance….

Depuis quelques semaines, c'est une musique de panique économique qui nous parvient des 20 heures et des grandes radios. Panique à propos de la crise grecque : si on n'aide pas la Grèce immédiatement, ce pays de la zone euro menace d'être en cessation de paiement, et peut-être d'entraîner dans sa chute d'autres pays européens, voire entraîner la dislocation de la zone euro, entend-on. Panique aussi à propos des retraites : si on ne réforme pas tout de suite, le déficit du système de retraite deviendra insurmontable.

Qu'en est-il ? Il faut tenter de faire le tri entre les fausses et les vraies raisons de paniquer avec deux invités : Jean-Luc Mélenchon, fondateur du Parti de gauche, au ton résolument différent du discours ambiant sur ces deux sujets, et Marc Touati, directeur général de la société de bourse Global equities, grand habitué des plateaux télés.

Avec ce plateau, rien ne s'est passé comme prévu. Faisant exploser le cadre censé guider leur dialogue, les deux invités ont passé près d'une heure et demie à discuter, batailler, s'engueuler, s'écouter, et, parfois, tomber d'accord. Un impressionnant match (et jamais vu à la télé) se déroulant sous les yeux ronds de l'équipe, qui a mis les pieds sous la table et n'a eu besoin de les aiguiller qu'à trois ou quatre reprises. Nous nous sommes régalés, nous espérons qu'il en sera de même pour vous.

L'affrontement débute dès les premières secondes de l'émission, lorsque Mélenchon demande d'un ton faussement badin à Touati la signification du mot "économiste". Et notre pauvre Lucie Desvaux a bien du mal à démarrer sa chronique : pourquoi les JT, qui parlaient encore de loi anti-"burqa" il y a quelques semaines, utilisent tous désormais le mot "niqab" pour désigner le voile intégral ? Et pourquoi deux agriculteurs, interrogés par deux journalistes différents sur deux chaînes différentes, répètent les mêmes gestes et les mêmes mots pour illustrer leurs difficultés (acte 1) ?


Comment devient-on un des économistes préférés des télés ? "Je suis simplement disponible" pour les caméras, explique notre invité, qui assure avoir simplement envie de "démocratiser l'économie". Ca tombe bien, Daniel propose immédiatement un exercice pratique : selon une dépêche de Reuters toute fraîche, le ministre grec des affaires sociales a annoncé vouloir faire passer l'âge de départ à la retraite dans son pays de 53 à 67 ans.

Question bête devant ce chiffre étonnant : un spécialiste de l'éco, interrogé depuis des jours sur la crise grecque, savait-il que les Grecs quittaient si tôt le travail ? Eh bien non. D'ailleurs, Touati et Mélenchon, doutent fort de ce chiffre de 53 ans. Erreur de retranscription ? Comme promis, nous avons vérifié, et il y a en tout cas une sacrée nuance…

La déclaration, tirée d'un article du Financial Times, parle en fait de l'âge moyen de départ à la retraite. En Grèce, l'âge légal est de 65 ans pour les hommes, et 60 ans pour les femmes. D'ailleurs, il y a deux mois, Reuters avait déjà indiqué que ce même ministre évoquait l'âge moyen de départ à la retraite dans son pays, qu'il situait alors à… 61 ans. Difficile d'y comprendre quelque chose, et étonnant qu'aucun des médias en ligne ou des radios tambourinant cette nouvelle ne se soit arrêté un instant pour réfléchir à la signification des chiffres annoncés. Passer de 53 ans à 67 ans… "et pourquoi pas à 102 ans?", s'énerve Mélenchon (acte 2).

Malgré leurs analyses parfois similaires sur les mécanismes économiques, un monde sépare nos deux invités quant à leur appréciation du système et aux conséquences qu'ils en tirent. Exemple flagrant sur les dépenses publiques en Grèce : alors que l'économiste répète que le pays dépense à tout va et qu'il doit "moderniser" son économie, le politique maintient que les dépenses ne sont pas suffisantes dans ce pays. Il tempête et ironise tour à tour contre la souplesse rhétorique de son adversaire… avec qui il retombe d'accord quelques instants plus tard pour écarter d'un revers de la main l'"analyse " d'Alain Minc, qui décrit les Grecs comme des "fonctionnaires" quittant en toute hâte leur travail pour devenir chauffeurs de taxis (acte 3).

La joute verbale se poursuit autour des questions de spéculation. Touati rappelle que "la spéculation ne tombe pas du ciel" et qu'elle est dans l'ordre des choses, alors que Mélenchon ne rêve que de "briser les reins" de ceux qui s'y livrent et qui "mettent la Grèce à genoux". Ne ratez surtout pas son brillant démontage du mécanisme de titrisation, avec le renfort d'une feuille de papier et de Dan, qui n'a pas l'air d'un débiteur bien honnête (acte 4) !

Le dernier round sur la Grèce concerne les agences de notation. Chacun s'accorde à dire que les critères de notation de ces entreprises, chargées de déterminer si un pays ou une entreprise est susceptible de rembourser ses dettes, sont loin d'êtres objectifs. "La note de la France pourrait être dégradée, c'est une évidence, mais le choix est politique", résume Touati. Qui se tasse un peu lorsque le fondateur du parti de gauche entreprend de détailler les représailles qu'il ferait subir aux tenants du libéralisme économique s'il était au pouvoir : "Je veux vous foutre la trouille !" Mission plutôt réussie (acte 5).

Cela aurait dû constituer une bonne partie de notre émission, mais le choc de nos invités en a décidé autrement. En fin d'émission, nous abordons la question des retraites. Nouveau duel. Pour l'un, une "évidence arithmétique" oblige la France à reculer l'âge du départ à la retraite. Pour l'autre, tous ces chiffres menaçants ne sont que "poudre aux yeux" et le montant des sommes à financer reste microscopique au regard de la richesse fournie par notre "grand pays" et son "grand peuple"(acte 6).

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