Iran et sanctions US : "les entreprises sont obligées de se taire"

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Guerre économique : comment les Américains font leur loi


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Le retrait des Etats-Unis de l'accord nucléaire iranien annoncé par Donald Trump a marqué le début, en même temps que d'une crise internationale inédite, d'une grande campagne de communication ou d'intoxication internationale. Pourquoi les États-Unis veulent-ils rétablir les sanctions contre l'Iran, en quoi ces sanctions vont-elles consister, et comment les Européens peuvent-ils riposter contre cette utilisation du droit comme arme de guerre contre celles de leurs entreprises qui commercent avec l'Iran ? Derrière les communiqués ronflants, notre émission, avec Karine Berger, ancienne députée PS, co-autrice en 2016 d'un rapport parlementaire sur l'extraterritorialité de la législation américaine ; Jean-Michel Quatrepoint, journaliste économique, auteur d' "Alstom, un scandale d'Etat" ; et Olivier de Maison Rouge, avocat spécialisé en intelligence économique, auteur de "Penser la guerre économique".

Les entreprises françaises inquiètes : le précédent BNP 

Le 8 mai 2018, Donald Trump annonce le retrait des Etats-Unis de l'accord de Vienne signé en 2015, et qui a pour but de contrôler programme nucléaire iranien. Raisons invoquées : il ne permettrait pas de surveiller efficacement les installations iraniennes, et n'empêcherait pas l'Iran d'obtenir, à terme la bombe atomique. Une décision qui n'a rien de surprenant, rappelle Olivier de Maison Rouge. "Il ne faut pas croire que les arguments techniques mis en avant par l'administration américaine soient tous faux", pointe de son côté, prudemment, Karine Berger, co-autrice du rapport parlementaire Berger-Lellouche sur l'extraterritorialité américaine.

Inquiétude du côté des entreprises européennes et françaises qui ont recommencé à commercer avec l'Iran (parmi lesquelles Airbus, Renault, PSA ou Total, qui a annoncé qu'elle pourrait se retirer d'un projet gazier en Iran). Car il y a eu des précédents : en 2014, BNP Paribas doit payer près de 9 milliards de dollars pour avoir contrevenu à des sanctions économiques américaines. Une transaction décidée dans le cadre d'un accord entre le ministère de la justice américain et la banque française, sans procès. "Voilà comment s'opère aujourd'hui l'impérialisme juridique qui permet de mettre en œuvre l'extraterritorialité du droit [américain]", résume Olivier de Maison Rouge. 

Pourquoi se soumettre aux sanctions américaines, et traiter avec le ministère de la justice pour payer des amendes ? "Les entreprises sont obligées de se taire", avance Jean-Michel Quatrepoint. Dans le cas de BNP, "ils ont tenté de dire on n'est pas d'accord", explique Karine Berger. Sauf que les Etats-Unis "ont pris leur téléphone et ont dit, y a pas de problème, on vous enlève votre licence [d'exercer aux Etats-Unis] demain". Chantage économique ? "Du point de vue des institutions américaines, ce n'est pas du chantage", tempère Karine Berger.

ALstom : les liens entre GE et la justice américaine

Autre cas de figure, bien distinct, celui des amendes payées par des entreprises françaises après des enquêtes pour corruption menées par les Etats-Unis. Cas emblématique : Alstom, qui accepte en décembre 2014 de payer une amende de 772 millions de dollars, quelque mois après la fusion d'Alstom avec l'américain General Electric. 

GE a-t-elle profité du mauvais pas d'Alstom, ou peut-on imaginer que cette procédure ait été lancée pour pousser à cette fusion. Quatrepoint réfute la dernière hypothèse, et revient sur les origines de l'enquête pour corruption du département de la justice, et son influence sur le désir de Martin Bouygues de vendre ses parts d'Alstom... à General Electric. "Il est évident que les actes de corruption révélées par le département de la justice ont favorisé l'affaiblissement d'Alstom et la montée en puissance de GE dans les négociations", résume Olivier de Maison Rouge. "Il se trouve que le patron de GE [Jeffery Immelt, ndlr] a un lien de famille avec celui qui mène l'enquête au sein du département de la justice", ajoute Karine Berger. En réalité, c'est plus complexe : D'après plusieurs articles, dont un d'Europe 1, le frère de Jeffrey Immelt, Steve Immelt était à la tête du cabinet de conseil qui supervisait la vente d'Alstom à GE. Parmi les autres conseiller d'Alstom : Rachel Brandenburger, ancienne employée du ministère de la Justice. Autant d'éléments qui tendent à prouver que les administrations américaines défendent les intérêts économiques américains.

Monitoring : "L’ŒIL de washington" 

Sanction dans la sanction, le "monitoring". Lorsqu'une entreprise négocie avec l'administration américaine, en plus d'une amende, elle peut avoir à accepter un moniteur externe, souvent mandaté par les autorités américaines, qui contrôle que les entreprises mettent en place des dispositifs de "conformité" à a loi américaine. "L’œil de Washington" ? "Complètement", approuve Karine Berger. "Le fait d'être monitoré ne protège absolument pas, c'est plutôt l'inverse, de poursuites américaines". "Derrière l'amende, il y a aussi ce que coûtent ces opérations, des centaines de millions de dollars", ajoute Quatrepoint. 

Y a-t-il un ciblage particulier des entreprise européennes ? Les plus grosses amendes sont plus souvent contre des entreprises non-américaines, relevait le rapport de Karine Berger et Pierre Lellouche. "C'est depuis 2010 que la mécanique a vraiment été lancée", explique-t-elle. Mais comment justifier qu'une entreprise française soit poursuivie aux Etats-Unis ? Quels sont les "liens de rattachement" ? Outre les filiales américaines, on trouve également des critères comme l'utilisation de logiciels américaines, ou le simple transit d'un mail sur un serveur américain. 

"je n'ai jamais vu un prix d'airbus en euros"

L'intervention des États-Unis est-elle causée par le laxisme français et européen envers la corruption ? Karine Berger met en avant la loi Sapin II pour lutter contre la corruption, votée en 2016, qui inaugure des principes d'extraterritorialité similaires à ceux des États-Unis.

Quelle riposte possible aujourd'hui des Européens et des Français ? Plusieurs personnalités mettent en avant la "loi de blocage" de 1996 (qui protégeait les entreprises européennes face aux sanctions américaines). "Le problème, c'est que les entreprises qui font du business en Iran ont toutes un intérêt américain", pointe Karine Berger. "Pour le moment, sur l'Iran, on est dans la gesticulation", tacle Jean-Michel Quatrepoint : "les entreprises vont se retirerOn accepte de ce fait la domination américaine".

Comment inverser ce rapport de force ? "Comment voulez-vous être indépendant quand votre défense est assurée par les Américains ? Ça pose le problème de l'OTAN", avance Quatrepoint. Mais aussi faire de l'euro une monnaie internationale, insiste Karine Berger : "Je n'ai jamais vu un seul prix d'Airbus en euros". "Aujourd'hui, on s'aperçoit que les Américains sont clairement devenus nos adversaires sur le plan économique", conclut Olivier de Maison Rouge.

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