Génocide des Tutsis : "Sans justice, on ne peut pas parler de réconciliation"
La rédaction - - Scandales à retardement - 35 commentairesTélécharger la video
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30 ans après, la mémoire cherche encore un chemin. Rwanda, 1994. En trois mois, un million de Tutsis sont assassinés, hommes, femmes, enfants, dans un déchaînement de violence minutieusement préparé par les génocidaires Hutus à l'aide de médias et de discours de haine largement diffusés et entendus. Un génocide planifié de longue date, et exécuté dans le silence assourdissant de la communauté internationale. Mis face à la catastrophe, les médias français ont d'abord tâtonné, mal nommé, mal compris ce qui se jouait au Rwanda. Et puis est venu le temps de l'enquête, du devoir de mémoire : que savait la France ? Qu'a-t-elle fait, ou plutôt que n'a-t-elle pas fait pour empêcher le génocide ? Emmanuel Macron devait reconnaître cette année que "la France n'avait pas eu la volonté d'arrêter le génocide". Pressions, rétropédalage, et puis finalement, rien. Que s'est-il passé ? Pourquoi les tenants de l'irresponsabilité de la France sont-ils toujours accueillis sur les plateaux, malgré la vérité historique qui s'impose ?
Pour tenter de comprendre la machine génocidaire et l'aveuglement de la France, nous recevons cette semaine Annick Kayitesi-Jozan, autrice et rescapée du génocide des Tutsis ; Étienne Nsanzimana, ancien président de l'association pour la mémoire Ibuka France et rescapé du génocide des Tutsis ; Maria Malagardis, journaliste pour Libération, spécialiste du Rwanda ; Michael Pauron, journaliste pour Afrique XXI
et auteur de plusieurs enquêtes sur la responsabilité de la France dans le génocide.
Radio Mille Collines, le génocide en musique
Arme de diffusion massive des appels au génocide, la Radio Télévision Libre des Mille Collines (RTLM) a embrigadé, pendant une année de diffusion, tout un peuple dans la logique génocidaire. Étienne Nsanzimana se souvient qu'il l'écoutait, alors adolescent : "Quand on rentrait, on la mettait parce qu'il y avait de la bonne musique. La radio a fait son petit chemin comme ça, et le lavage [de cerveaux] et l'installation de l'idéologie a fait son chemin tranquillement."
Une radio en français pour les Hutus éduqués
Certains messages menaçants diffusés par la RTLM l'étaient en français. Un choix pesé explique Annick Kayitesi-Jozan : "Au Rwanda, ceux qui parlent français à l'époque sont une minorité. Ils sont éduqués, ils sont majoritairement Hutus. Donc c'est un message aussi pour les intellectuels. Et après, il y avait des messages en kinyarwanda beaucoup plus violents."
Macron rétropédale
Il devait reconnaître l'inaction de la France, et finalement ne l'a pas fait. Pour Annick Kayitesi-Jozan, la polémique est indécente au vu des enjeux, et surtout au vu de la date, le 7 avril, jour anniversaire du déclenchement du génocide : "On va passer les commémorations à parler de ce qu'a dit Macron de ce qu'il n'a pas dit. Et on ne parle pas de génocide. Le 7 avril, c'est une date qui est sacrée pour nous. [...] J'avais espoir qu'on allait enfin pouvoir souffrir en paix."
Sur les plateaux, les tenants de l'irresponsabilité française toujours invités
Sur le plateau de C ce soir, Jean Glavany, le président de l'Institut François Mitterrand, a bataillé pour défendre sa position : la France n'a pas de responsabilité dans le génocide des Tutsis. Annick Kayitesi-Jozan a choisi de participer à l'émission justement pour que ce discours ne soit pas sans réponse : "J'y vais, et j'y vais même avec deux casquettes. J'y vais comme rescapée, mais comme française aussi. Ça me semble important de s'asseoir à côté de lui, qu'il nous voie et qu'il nous entende."
Pour aller plus loin
- Les livres d'Annick Kayitesi-Jozan, Nous existons encore(Michel Lafon, 2004) et Même Dieu ne veut pas s'en mêler (Seuil, 2017).
- Le site de l'association Ibuka France.
- Les enquêtes de Maria Malagardis pour Libération, son roman Avant la nuit (Talent Éditions, 2024), et son documentaire Rwanda, vers l'apocalypse.
- Les enquêtes de Michael Pauron pour Afrique XXI.