"En Italie, il y a un problème de connivence entre journalistes et politiques"
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Il n'y avait vraiment aucune surprise tant sa victoire avait été pronostiquée plusieurs semaines avant le scrutin de dimanche 25 septembre. Giorgia Meloni, 45 ans, présidente du parti d'extrême droite, Fratelli d'Italia, députée depuis 2006, a recueilli 26 % des voix. Elle plafonnait à seulement 4 % il y a 4 ans. Forte de ce résultat, d'ici un mois, elle sera nommée présidente du conseil italien et pourra s'enorgueillir d'être la première femme à ce poste dans toute l'histoire de l'Italie. Depuis l'annonce des résultats, son visage, certains de ses discours, ont envahi nos écrans et nos postes de radios. De quelle manière les médias français ont-ils rendu compte de cette actualité ? Est ce que nos qualificatifs, nos analyses sont justes ? Et quid du regard des Italiens eux-mêmes sur cette ascension politique ? Pour répondre à toutes ces questions, trois invités cette semaine : Francesco Maselli, journaliste italien correspondant à Rome du quotidien français l'Opinion, Karima Moual, journaliste politique et éditorialiste pour La Stampa, la Reppublica ou La 7 et Michela Marzano, philosophe à l'université parisienne Paris Descartes, ancienne députée de gauche en Italie et autrice de Mon nom est sans mémoire (Stock, 2022).
"Les racines fascistes sont les racines culturelles de Giorgia Meloni"
Depuis l'annonce des résultats, Giorgia Meloni fait la Une de plusieurs médias français, avec à chaque fois plusieurs qualificatifs qui tentent de dire qui elle est : nationaliste, fasciste ou post-fasciste. C'est justement le terme qu'utilise Francesco Maselli, correspondant de l'Opinion à Rome. "On rappelle toujours ses racines car c'est important, ça fait partie de son bagage culturel. Post-fasciste car elle est l'héritière du Mouvement social italien (parti politique néo-fasciste héritier du Parti national fasciste de Mussolini, ndlr) et ensuite de l'Alliance nationale. Elle a récupéré [en tant que logo] la flamme du parti, ce n'est pas neutre." Pour la philosophe Michela Marzano, si ce débat est important, "ce n'est pas si facile que cela de trouver la bonne qualification. Je ne sais pas trop ce que ca veut dire post-fascisme. Le «post quelque chose» est en général utilisé par les anglo-saxons. Par exemple, «post-truth» pour la «post-vérité», c'est-à-dire ce qui vient après, j'imagine le mensonge. Or, en ce qui concerne Giorgia Meloni, moi ce qui m'inquiète, c'est qu'on n'est pas vraiment dans le «post»."
"L'Italie n'a jamais réellement rouvert le dossier du fascisme"
Tous nos invités s'accordent à dénoncer les racines fascistes de Giorgia Meloni, la présence parmi son mouvement de nostalgiques de la période fasciste et la difficulté de l'Italie à solder cette partie de son histoire. C'est d'ailleurs la question du passé fasciste de l'Italie qui est au cœur du dernier livre de Michela Marzano, Mon nom est sans mémoire, où la philosophe livre l'histoire personnelle de son grand-père paternel, magistrat de profession mais surtout ancien fasciste, ayant participé à la marche sur Rome de Mussolini en 1922, un "fasciste de la première heure" selon sa petite-fille. Michela Marzano n'apprend cela qu'en 2019. "Il y a eu beaucoup de souffrance dans la découverte de quelque chose que je ne connaissais pas, explique-t-elle, très émue. Les dix-huit dernières années de la vie de mon grand-père, il a eu un AVC, il était en fauteuil roulant, aphasique, tétraplégique. Est-ce ça la raison pour laquelle mon père a effacé toute l'histoire ou est-ce que parce que en Italie, dans les années 1940 et 1950, on a mis un point et on est allé à la ligne sans jamais rouvrir réellement le dossier."
"Il y a un problème de connivence entre les journalistes et le pouvoir politique"
Les médias ont aussi leur part de responsabilité dans l'ascension de Giorgia Meloni. En octobre 2019, la députée retrouve ses militants sur la place San Giovanni à Rome, là où ont traditionnellement lieu les rassemblements de gauche. Elle y prononce un discours d'extrême droite extrêmement virulent, anti-étrangers, ciblant les minorités sexuelles et vantant son identité de mère chrétienne. Des extraits sont retravaillés par un duo de DJ, censés se moquer d'elle. Résultat : le remix intitulé Io sono Giorgia (Je suis Giorgia) fait un carton avec 12 millions de vues à ce jour sur YouTube. Meloni s'en inspire pour sa propre ascension politique : Io sono Giorgia est le titre de son autobiographie, un succès en librairie. Un mois plus tard, elle est invitée par la journaliste de télé Myrta Merlino. Sur son plateau de la chaîne privée La 7, toutes les deux chantent, dansent et rient au son du remix. Une scène qui ne surprend pas nos invités. "Je regarde souvent son émission, explique Francesco Miselli. Il y a cette proximité avec les invités, les hommes et les femmes politiques que je trouve complètement déplacée et qui serai inimaginable à tenir en France. Elle n'est pas là pour interviewer, elle est là pour faire une conversation amicale et pour rire. Malheureusement, il y a une partie de la télévision italienne qui est comme ça." Michela Marzano abonde : "Oui, il y a un problème de connivence entre les journalistes et le pouvoir politique."
"Le public italien n'est pas habitué à voir sur la scène publique des personnalités d'origine immigrée"
Karima Moual, journaliste politique italo-marocaine, est la cible de messages de haine sur les réseaux sociaux jusqu'à recevoir des menaces de mort. Comme en août 2022, soit en pleine campagne électorale (très à droite), où elle a été destinataire de messages extrêmement virulents : "Meloni va te déchirer, tu es trop bête pour vivre . L'avenir est noir pour les étrangers arrogants comme vous, surveillez vos arrières, sauvez-vous, les féminicides existent." Ces menaces de haine, elle les a publiquement dénoncées dans un éditorial publié dans le journal La Repubblica, et Reporters Sans Frontière a apporté son soutien public à la journaliste, dénonçant "le manque de réaction politique". "Ces messages, je les ai reçus surtout cette dernière année, raconte Karima Moual. Mon image est de plus en plus visible sur les plateaux de la télévision italienne, notamment à Mediaset où je confronte des politiciens d'extrême droite ou des journalistes qui ont des idées ou des analyses différentes des miennes. Je découvre moi-même qu'il y a un public xénophobe, raciste et c'est pour moi un choc. Oui, on peut avoir des idées différentes mais on ne peut pas en arriver à menacer, à insulter des journalistes parce qu'ils sont d'origine marocaine. Le public italien n'est pas habitué à avoir sur la scène publique des profils de personnalités qui ont derrière eux un background migratoire."
Pour aller plus loin
- Marie-Anne Matard Bonucci : "Meloni n'est pas post-fasciste car l'Italie n'a pas soldé ses comptes avec le passé fasciste", la Croix, 27 septembre 2022
- "Le spectre du fascisme inquiète les Marocains en Italie", Yabiladi, 26 septembre 2022
- Mon nom est sans mémoire, Michela Marzano, éditions Stock, août 2022