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Louison
« Ma perception de la conjoncture israélienne reste subordonnée à une autre à laquelle je suis encore plus sensibilisée; celle qui se produisit il y a quelques siècles, de l’autre côté du monde, quand d’autres persécutés et opprimés vinrent s’établir sur des terres occupées depuis des millénaires par des peuples plus faibles encore et qu’ils s’empresseront d’évincer. Je ne puis évidemment pas ressentir comme une blessure fraîche à mon flanc la destruction des Peaux Rouges et réagir à l’inverse quand les Arabes Palestiniens sont en cause » TRISTES TROPIQUES. N'est-ce pas plus intéressant ?
D'où le titre de Libération : Claude Lévy-Strauss, L'anticolonialiste
Vos salamalecs sur l'islam sont convenus, mais si vous lisez vraiment Lévy-Strauss, vous vous apercevez que c'était un penseur humaniste et un scientifique sérieux.. -
Damien (dit le Farfadet)
Je viens à peine de regarder cette émission, fort tardivement, je le reconnais.
Mais je m'insurge de l'inculture des invités sur l'anthropologie elle-même, qui fait qu'ils ont un mal fou à répondre à la question d'une islamophobie de Levi-Strauss prétendue.
Il faut comprendre que fondamentalement l'anthropologie est apparue en tant que science sociale sur un postulat ethnocentriste, c'est-à-dire sur un jugement de valeur à l'encontre de sociétés différentes de la nôtre. L'émergence de l'anthropologie telle qu'elle existe aujourd'hui (c'est-à-dire l'anthropologie sociale, et non l'anthropologie physique ou même les projets philosophiques d'anthropologie, notamment politique) part d'un constat durant le 19e siècle de la transformation profonde et d'une expansion soudaine des possibilités techniques dans nos sociétés "occidentales". Cette explosion dûe notamment aux sciences et aux révolutions industrielles amène à l'évolution d'un question déjà présente, en particulier depuis le 16e siècle, concernant les "sauvages". Comment se fait-il que nos sociétés se transforment, et atteignent un tel degré de raffinement (car à l'époque ces nouveautés sont conçues comme raffinement et grandeur) tandis que d'autres sociétés on l'air de stagner?
Ce postulat premier, selon lequel nous aurions atteint quelque chose de mieux suivant une évolution progressiste qui nous détache de l'"autre", qui lui serait encore au point mort, a été le point de départ des études sociales de l'anthropologie. Comprendre l'homme dans son organisation, et de ce fait comprendre son essence, définir ce qu'il est. C'est un postulat qui a amené les premiers mouvements de l'anthropologie à hiérarchiser les cultures. Et toute l'anthropologie va se développer à partir de ce paradoxe selon lequel en essayant de prouver la valeur universelle de l'homme, les anthropologues vont régulièrement développer des armes politiques pour le classement des cultures, que les générations suivantes ne vont cesser de vouloir désamorcer.
Et ces paradoxes sont omniprésents dans toute l'histoire de l'anthropologie : d'un côté vouloir à ce point créer un science qui réponde aux critères de rationalité positivistes, et donc postuler qu'au fond l'occident a créé le seul modèle fiable de connaissance ; de l'autre considérer que cette rationalité doit permettre d'atteindre à l'universalité de l'homme au-delà de toute culture. D'un côté, envisager des méthodes d'étude extrêmement rigoureuses ; de l'autre privilégier l'étude de terrain comme modèle privilégié d'observation, avec toutes les restrictions méthodologiques que cela apporte. D'un côté une tentative régulièrement renouvelée d'intégrer des modèles mathématiques, mécaniques pour comprendre l'organisation sociale ; de l'autre considérer que l'art et la religion sont des objets à soumettre à l'examen rationnel.
Ces difficultés théoriques s'ajoutent à un autre élément essentiel dans la démarche ethnographique. Malinowski, par exemple, est un anthropologue fondateur du fonctionnalisme, qui a eu un rôle d'une grande importance dans l'élaboration d'une méthodologie rigoureuse de l'ethnographie. Pourtant, en lisant le journal de Malinowski quand il était sur le terrain, on trouve des passages emplis de jugements racistes à l'égard de la culture au contact de laquelle il se trouve. Il faut comprendre que la démarche de l'ethnologue n'est pas naturelle : nous passons notre temps à nous rapprocher des gens avec qui l'on peut avoir des points communs, des contacts humains, avec qui former des ponts. Or Malinowski se devait au contraire d'étudier avec sérieux toute choses dans ces sociétés, y compris ce qui pouvait lui sembler le plus aberrant, le plus inacceptable, sans pouvoir se permettre de s'y opposer. Un bon exemple est son rapport à la rationalité : Malinowski était un physicien polonais qui, après avoir lu Le Rameau d'or de James Fraser a décidé de se mettre à l'anthropologie. Il s'agit donc d'un esprit extrêmement cartésien, avec une grande confiance en la science, qui se retrouve en face d'individus qui ne suivent pas du tout ce modèle de rationalité, qui n'ont même aucune idée de l'existence d'un tel concept. Il est évident que par moments, dans une immersion totale et permanente, Malinowski devait craquer, ne pouvait pas accepter certains rituels ou certains modes de pensée, certains comportements. Le meilleur moyen de s'en sortir reste encore de se défouler sur un livre.
Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, en France, le racisme est devenu illégal. Les conceptions racistes, les incitations à la haine raciale sont punies par la loi. Nous avons intégré qu'au fond le racisme était quelque chose de mal. Mais l'anthropologue est en fait le chercheur qui se trouve au plus près de ces conceptions, qui les affronte constamment, qui est en permanence au contact des chocs culturels. Et constamment l'anthropologue se doit d'y faire attention, afin de comprendre ce qui se déroule devant lui. Mais l'anthropologue est humain, il a reçu une éducation, est issu d'une culture précise, suit une éthique particulière, a une certaine conception du bien et du mal. Il aura beau affronter ces éléments, il a aussi le droit d'avoir des faiblesses, de déraper, de craquer sur certains points.
Aussi est-il facile de jeter la pierre à un anthropologue, mais l'essentiel n'est pas tant ce qu'il pense à un instant T de sa vie, plutôt de constater ce qu'il est parvenu à prouver à la suite d'une étude rigoureuse. Tristes tropiques a été écrit rapidement, n'est pas fondamentalement un ouvrage de démonstration rigoureuse de quoi que ce soit. Le livre est écrit rapidement. Et Levi-Strauss y décrit régulièrement l'horreur qu'il éprouve pour les rouleaux compresseurs qui uniformisent les cultures. Dans ce livre, il ne s'attaque pas seulement à l'Islam, mais également à la civilisation occidentale, à la modernité technique... Il s'y plaint aussi de voyager, expliquant que précisément le travail de l'anthropologue a lieu au contact des livres, qu'il se fait dans les bibliothèques, et que partir à l'autre bout du monde pendant des années pour obtenir quelques informations est un calvaire.
Quand Levi-Strauss dit l'avoir écrit avec rage, il faut comprendre que ses frustrations y ressortent. L'anthropologue est une être humain qui rêve d'une étude rationnelle des cultures, et qui passe son temps à affronter le prisme que lui impose la sienne et tout ce qui l'éloigne de son objet d'étude. Et quelque part, attaquer Levi-Strauss après sa mort sur ce genre de point prouve non pas seulement la stupidité d'une telle démarche (attendre sa mort pour en parler, et donc lui refuser le droit de s'en expliquer), mais surtout c'est avoir une inculture profonde pour ce que représente le travail anthropologique. Les gens ont trop regardé Danse avec les loups pour saisir la part de déchirement qui fait partie d'une ethnographie, en même temps que l'épuisement que cela représente, souvent pour en apprendre finalement peu par rapport au temps que l'on a dû investir dans cette démarche.
Un long post, donc, pour me plaindre de tout ce blabla insipide autour d'un point de détail qui ne contribue qu'à masquer le véritable travail anthropologique.
[edit] Une faute d'accord dans le titre... -
Nikulikuli
Tres bonne émission, à vrai dire, peut etre une des meilleurs d'arret sur images pour moi !: contenu tres informatif, débat et échange d'idée intelligents. Je ne connaissais pas grand chose de Lévi-Strauss et j ai eu l'impression d'en apprendre un peu plus. Une bouffé d'air au milieu de la confusion maintenant courante de l'information d'un manière générale. Merci donc ! -
Pascal COSTANTINI
Bravo pour cette emission, que je considere comme la meilleure qui m'ait ete permise de regarder sur le site d'ASI jusqu'a present. Les intervenants etaient remarquables, arrivant bien a dissocier l'analyse de la pensee de C. LS de son "engagement" ou influence politique. Pas si evident. De vrais intellectuels, sans pretention ni pedanterie. Encore bravo. -
Aspasie G.
Lévi-Strauss, c' est avant tout un rationaliste héritier de Montaigne, Diderot, W.Humboldt . -
Nonosse
De quoi exactement ne parle pas Philippe Cohen ? Il ressemble un peu à un Philippe Val de l'anti-conformisme. Lui qui dit ne pas connaître Lévi-Strauss, que fait-il là ? Et lui qui dit connaître le structuralisme, sa (non) définition de la chose quand il est enjoint d'en livrer une suffit à en douter... -
Madelia
Personnellement, je ne vois aucune contradiction entre etre un observateur et defenseur des rites amerindiens et etre un conservateur des rites "francais" "anciens" comme ceux pratiques a l'academie francaise. Bien au contraire...
Le structuralisme, c'est montrer les "invariants culturels" dont les rites, c'est aussi montrer combien ces rites sont importants au sein de chaque societe (puisqu'ils sont invariants) et ce n'est pas forcement refuter et s'opposer a l'idee de metissage...
Je suis francaise, de parents bretons et avec de lointaines origines basques. Agnostique et profondement laique, je suis mariee a un Russe, Juif, athe et dont le pere vient de Sakaline (ile russe situee juste au-dessus de l'archipel du Japon). Nous vivons tous les deux aux States, a New York! Le metissage, je crois pouvoir dire que j'y suis baignee continuellement.
Culturellement metissee, je suis a la fois dans la societe francaise, americaine mais aussi bretonne. J'accepte donc et embrasse la difference. C'est au nom de cette difference, de ce metissage que je "lutte" (le mot est un fort mais pour le moment je n'en trouve pas d'autre), pour conserver les rituels, les coutumes de chaque peuple. Sans elle, ma culture, ma position de "metissee" n'existe plus, et c'est comme si je n'existait plus.
Le metissage culturel, c'est tout le contraire de l'acculturation, on est bien d'accord. Je me reconnais donc une culture propre meme metissee, et je respecte et reconnais forcement celle de l'autre. Je suis donc pour la conservation des rites, en acceptant qu'a la prochaine generation, ces rites se modifient et evoluent.
Tout ca pour dire que quand j'entends Levi-strauss, je me dis que ce qu'il veut dire, c'est justement cela. Il ne choisit pas de proteger tel ou tel rite mais de proteger les Rites. Parce qu'une societe sans rites n'existe plus. -
marie claude benard
Avez-vous remarqué (comme moi) que la position de la caméra (des caméras) privilégiait à l'image Antoine de Gaudemar aux dépens de Philippe Cohen ? Le premier était plus souvent cadré seul et sur un fond lisse et plein alors que le second était cadré, le plus souvent, avec Gaudemar et quand il était seul, c'était sur un fond d'angle qui lui donnait l'air d'y être, à moitié.
Ce décalage de traitement à l'image tient-il à ce qu'ils étaient seulement deux pour cette émission, à la différence des autres plateaux ? Je compte sur vous pour vérifier
Merci
Cordialement -
GTH
Pour déconstruire, encore faut-il en avoir les moyens.
Ce que je retiens de cette émission : une soupe où l'on dit tout et n'importe quoi, où l'on est hésitant parce que les questions sont mal posées, où l'on veut trois-quatre choses claires sans s'encombrer de nuances, où l'on ne sait pas si le but est de parler de la médiatisation de la mort, de l'homme ou des livres. On parle à peine de la médiatisation, on ne connaît pas les livres, on ne sait rien sur l'homme mais on suppose.
Je regrette d'avoir perdu 12 euros en m'abonnant. -
liza
Un anthropologue pour faire un peu de pédagogie n'aurait pas été de trop. -
CHRISTOPHE ROY
Par ailleurs, un grand merci à Liliane, c'est très instructif de retourner à la source et ça recentre très nettement le débat.
"Ce malaise ressenti au voisinage de l'Islam, je n'en connais que trop les raisons : je retrouve en lui l'univers d'où je viens ; l'Islam, c'est l'Occident de l'Orient." Les monothéismes et les civilisations de conquêtes (empire d'Alexandre le Grand, empire musulman, empires coloniaux de l'Occident) sont renvoyés dos à dos. On semble loin de la xénophobie, mais plus dans "l'étrange étrangeté" de l'Autre dans lequel je me retrouve, aspects mélioratifs comme aspects négatifs. On peut ne pas partager, bien sûr, la pensée de Lévi-Strauss, et j'ai moi-même, en néophyte, quelques réserves; mais quid de la critique d'islamophobie formulée par certains? -
CHRISTOPHE ROY
J'ai un doute sur la pertinence d'inviter Philippe Cohen, habitué de la Ligne Jaune, pour parler de Levi-Strauss alors qu'il avoue lui-même ne pas bien le connaître. Cela dit, sans attaque aucune contre ledit Cohen. Mais il y avait probablement un anthropologue ou un spécialiste des sciences humaines qui pouvait apporter une contradiction plus intéressante et plus fondée au journaliste de Libération. Philippe Cohen se défend bien, déploie des trésors de rhétorique, mais il ne fait ici que du travail de seconde voir de troisième main, même de qualité. A moins de l'embaucher comme chroniqueur, ce qui le placerait dans un autre statut... -
Asinaute sans pseudo caff4
Soyez honnêtes, citez le texte qui met en cause l'honneur de Claude Lévi-Strauss dans son intégralité, seule façon de se faire une idée personnelle.
Voici donc, à retrouver sur Hérodote.net
Tristes Tropiques, extrait, l'Inde et l'Islam
J'errais un soir dans l'enceinte de Bhir Mound, délimitée par un talus de déblais. Ce modeste village, dont les soubassements seuls ont subsisté, ne dépasse plus le niveau des ruelles géométriques où je marchais. Il me semble considérer son plan de très haut ou de très loin, et cette illusion, favorisée par l'absence de végétation, ajoutait une profondeur à celle de l'histoire. Dans ces maisons vécurent peut-être les sculpteurs grecs qui suivaient Alexandre, créateurs de l'art du Gandhara et qui inspirèrent aux anciens bouddhistes l'audace de figurer leur dieu. Un reflet brillant à mes pieds m'arrêta : c'était, dégagée par les pluies récentes, une piécette d'argent portant l'inscription grecque : MENANDRU BASILEUS SÔTEROS. Que serait aujourd'hui l'Occident si la tentative d'union entre le monde méditerranéen et l'Inde avait réussi de façon durable ? Le christianisme, l'Islam, auraient-ils existé ? C'était surtout l'Islam dont la présence me tourmentait ; non parce que j'avais passé les mois précédents en milieu musulman : ici confronté aux grands monuments de l'art gréco-bouddhique, mes yeux et mon esprit restaient encombrés par le souvenir des palais mogols auxquels j'avais consacré les dernières semaines à Delhi, Agra et Lahore (...).
Déjà l'Islam me déconcertait par une attitude envers l'histoire contradictoire à la nôtre et contradictoire en elle-même : le souci de fonder une tradition s'accompagnait d'un appétit destructeur de toutes les traditions antérieures. Chaque monarque avait voulu créer l'impérissable en abolissant la durée (...).
A l'Université de Lahore, j'ai rencontré une dame anglaise mariée à un musulman, qui dirigeait le département des Beaux-Arts. Seules les filles sont autorisées à suivre son cours ; la sculpture est prohibée, la musique clandestine, la peinture est enseignée comme un art d'agrément. Comme la séparation de l'Inde et du Pakistan s'est faite selon la ligne de clivage religieux, on a assisté à une exaspération de l'austérité et du puritanisme. L'art, dit-on ici, a «pris le maquis». Il ne s'agit pas seulement de rester fidèle à l'Islam, mais plus encore, peut-être, de répudier l'Inde : la destruction des idoles renouvelle Abraham, mais avec une signification politique et nationale toute fraîche. En piétinant l'art, on abjure l'Inde (...).
Plutôt que parler de tolérance, il vaudrait mieux dire que cette tolérance, dans la mesure où elle existe, est une perpétuelle victoire sur eux-mêmes. En la préconisant, le Prophète les a placés dans une situation de crise permanente, qui résulte de la contradiction entre la portée universelle de la révélation et l'admission de la pluralité des fois religieuses. Il y a là une situation «paradoxale» au sens pavlovien, génératrice d'anxiété d'une part et de complaisance en soi-même de l'autre, puisqu'on se croit capable, grâce à l'Islam, de surmonter un pareil conflit. En vain, d'ailleurs : comme le remarquait un jour devant moi un philosophe indien, les musulmans tirent vanité de ce qu'ils professent la valeur universelle de grands principes : liberté, égalité, tolérance ; et ils révoquent le crédit à quoi ils prétendent en affirmant du même jet qu'ils sont les seuls à les pratiquer.
Un jour, à Karachi, je me trouvais en compagnie de Sages musulmans, universitaires ou religieux. A les entendre vanter la supériorité de leur système, j'étais frappé de constater avec quelle insistance ils revenaient à un seul argument : sa simplicité (...).
Tout l'Islam semble être, en effet, une méthode pour développer dans l'esprit des croyants des conflits insurmontables, quitte à les sauver par la suite en leur proposant des solutions d'une très grande (mais trop grande) simplicité. D'une main on les précipite, de l'autre on les retient au bord de l'abîme. Vous inquiétez-vous de la vertu de vos épouses ou de vos filles pendant que vous êtes en campagne ? Rien de plus simple, voilez-les et cloîtrez-les. C'est ainsi qu'on en arrive au burkah moderne, semblable à un appareil orthopédique avec sa coupe compliquée, ses guichets en passementerie pour la vision, ses boutons-pression et ses cordonnets, le lourd tissu dont il est fait pour s'adapter exactement aux contours du corps humain tout en le dissimulant aussi complètement que possible. Mais, de ce fait, la barrière du souci s'est seulement déplacée, puisque maintenant, il suffira qu'on frôle votre femme pour vous déshonorer, et vous vous tourmenterez plus encore. Une franche conversation avec de jeunes musulmans enseigne deux choses : d'abord qu'ils sont obsédés par le problème de la virginité prénuptiale et de la fidélité ultérieure ; ensuite que le purdah, c'est-à-dire la ségrégation des femmes, fait en un sens obstacle aux intrigues amoureuses, mais les favorise sur un autre plan : par l'attribution aux femmes d'un monde propre, dont elles sont seules à connaître les détours. Cambrioleurs de harems quand ils sont jeunes, ils ont de bonnes raisons pour s'en faire les gardiens une fois mariés.
Grande religion qui se fonde moins sur l'évidence d'une révélation que sur l'impuissance à nouer des liens au-dehors. En face de la bienveillance universelle du bouddhisme, du désir chrétien de dialogue, l'intolérance musulmane adopte une forme inconsciente chez ceux qui s'en rendent coupables ; car s'ils ne cherchent pas toujours, de façon brutale, à amener autrui à partager leur vérité, ils sont pourtant (et c'est plus grave) incapables de supporter l'existence d'autrui comme autrui. Le seul moyen pour eux de se mettre à l'abri du doute et de l'humiliation consiste dans une «néantisation» d'autrui, considéré comme témoin d'une autre foi et d'une autre conduite. La fraternité islamique est la converse d'une exclusive contre les infidèles qui ne peut pas s'avouer, puisque, en se reconnaissant comme telle, elle équivaudrait à les reconnaître eux-mêmes comme existants.
Ce malaise ressenti au voisinage de l'Islam, je n'en connais que trop les raisons : je retrouve en lui l'univers d'où je viens ; l'Islam, c'est l'Occident de l'Orient. Plus précisément encore, il m'a fallu rencontrer l'Islam pour mesurer le péril qui menace aujourd'hui la pensée française. Je pardonne mal au premier de me présenter notre image, de m'obliger à constater combien la France est en train de devenir musulmane. Chez les musulmans comme chez nous, j'observe la même attitude livresque, le même esprit utopique, et cette conviction obstinée qu'il suffit de trancher les problèmes sur le papier pour en être débarrassé aussitôt (..). Comme l'Islam est resté figé dans sa contemplation d'une société qui fut réelle il y a sept siècles, et pour trancher les problèmes de laquelle il conçut alors des solutions efficaces, nous n'arrivons plus à penser hors des cadres d'une époque révolue depuis un siècle et demi, qui fut celle où nous sûmes nous accorder à l'histoire, et encore trop brièvement, car Napoléon, ce Mahomet de l'Occident, a échoué là où a réussi l'autre. Parallèlement au monde islamique, la France de la Révolution subit le destin réservé aux révolutionnaires repentis, qui est de devenir les conservateurs nostalgiques de l'état de choses par rapport auquel ils se situèrent une fois dans le sens du mouvement.
Vis-à-vis des peuples et des cultures encore placés sous notre dépendance, nous sommes prisonniers de la même contradiction dont souffre l'Islam en présence de ses protégés et du reste du monde. Nous ne concevons pas que des principes, qui furent féconds pour assurer notre propre épanouissement, ne soient pas vénérés par les autres au point de les inciter à y renoncer pour leur usage propre, tant devrait être grande, croyons-nous, leur reconnaissance envers nous de les avoir imaginés en premier. Ainsi l'Islam qui, dans le Proche-Orient, fut l'inventeur de la tolérance, pardonne mal aux non-musulmans de ne pas abjurer leur foi au profit de la sienne, puisqu'elle a sur toutes les autres la supériorité écrasante de les respecter. Le paradoxe est, dans notre cas, que la majorité de nos interlocuteurs sont musulmans, et que l'esprit molaire qui nous anime les uns et les autres offre trop de traits communs pour ne pas nous opposer (...).
Si le bouddhisme cherche, comme l'Islam, à dominer la démesure des cultes primitifs, c'est grâce à l'apaisement unifiant que porte en elle la promesse du retour au sein maternel ; par ce biais, il réintègre l'érotisme après l'avoir libéré de la frénésie et de l'angoisse. Au contraire, l'Islam se développe selon une orientation masculine. En enfermant les femmes, il verrouille l'accès au sein maternel : du monde des femmes, l'homme a fait un monde clos. Par ce moyen, sans doute, il espère aussi gagner la quiétude ; mais il la gage sur des exclusions : celle des femmes hors de la vie sociale et celle des infidèles hors de la communauté spirituelle : tandis que le bouddhisme conçoit plutôt cette quiétude comme une fusion : avec la femme, avec l'humanité, et dans une représentation asexuée de la divinité. (...).
haut de page Envoyer cette page à un(e) ami(e) Les commentaires des Amis d'Hérodote -
Juléjim
... si petits !
Relisons-le. Vite. Ou bien, en attendant d'en avoir la force, l'envie, ou simplement le temps, ne laissons pas passer certains billets de lecteurs attentifs et profonds, qui sont autant de fenêtres ouvertes et de mains tendues vers l'intelligence de l'oeuvre immense de Lévi-Strauss.
Ainsi Frédéric Ferney sur son blog Le bateau libre. -
Pablo le berger
Etrange cette émission qui commence par cette présentation qui a du faire Cloclo de sa tombe. Il faut dès maintenant s'assurer qu'il y est resté. Étonnant aussi le détachement vis à vis des images dont fait preuve cette émission. Elle prouve que pour peu que le sujet vous intéresse vous pouvez l'aborder et trouver deux trois clichés qui donnent le change.
Tout ça pour dire que j'aurai plaisir à voir plus de ce genre d'émission pour peu qu'effectivement un ou deux concernés(ici anthropologues) puissent enrichir les propos de journalistes pas stupides mais franchement qui semblent aller un peu vite en besogne. C'est fou comme le prisme du regard journalistique peut nous priver d'une meilleure vérité du et complexité du personnage... -
Patrice Guyot
Et BRASSENS ALORS ? QUELLE BANDE D'INCULTES !
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Miaou
Avant de visionner cette émission, Il est déjà insupportable de lire sur la présention Internet certains lieux communs de la bien-pensance contemporaine,.
"en l'occurence, d'étranges phrases sur l'Islam dans "Tristes tropiques", phrases pouvant passer pour islamophobes."
Je ne vois même pas où se situe le problème. L'islamophobie (que ce soit dans son acceptation de critique de l'Islam, ou qu'elle désigne plus prosaïquement la peur à l'encontre de cette idéologie religieuse) est parfaitement respectable. Elle ne se confond pas, c'est une évidence, mais qu'il n'est pas apparemment inutile de rappeler, avec une quelconque xénophobie ou racisme. L'Islam n'est pas une race, mais un courant religieux. Critiquer l'Islam, ce n'est pas dénigrer les musulmans, et encore moins les populations immigrées d'origine musulmane (mais qui ne le sont d'ailleurs plus forcément).
Quoi qu'en pensent les uns et les autres, doit être maintenu le droit démocratique de critiquer des aspects de certaines cultures, ne fussent-elles pas les nôtres. Cela peut valoir le reproche d'ethnocentrisme, mais il vaut bien celui de relativisme. J'ai, par exemple, le droit de préférer notre société moderne (avec tous ses défauts que je ne nie pas et que je pourfends) à certaines cultures précolombiennes pourvoyeuses de sacrifices humains (état de fait nié ou minimisé par quelques anthropologues sous l'influence d'un certain rousseauisme)
"Ces phrases sont-elles à replacer dans le contexte général d'une aversion de l'ethnologue à l'égard de toutes les religions monothéistes ?"
Ah oui, la critique de l'Islam devient acceptable à partir du moment où elle est noyée dans le combat bien-pensant contre le monothéisme en général. Le vomissement d'une certaine intelligentsia à l'égard du catholicisme (voire du christianisme), lui, est forcément légitime et s'exprime dans le registre d'une certaine évidence.
Mais peut-on enfin accepter l'idée que l'Islam, en tant que système de pensée, possède des tares bien spécifiques, qu'il faut dénoncer, sans qu'il n'est besoin de s'excuser à chaque fois, sous le coup d'une culpabilisation tiers-mondiste déplacée ? -
marcel verplaetse
Bien dit Anthropia !! -
Anthropia
Merci d'avoir osé faire cette émission, qui nous plongeait (replongeait) dans les concepts et les lectures anciennes. L'idée d'interroger d'autres pour comprendre Lévi-Strauss était une bonne idée. Un anthropologue autour de la table aurait sans doute été intéressant.
Justement, j'ai eu parfois un sentiment étrange, qu'on mélangeait travail universitare et médiatique, qu'on sommait Lévi-Strauss d'être actuel : il est né au début du XXème siècle, il avait 60 ans en 68, il avait 20 ans dans les années trente, comment dire, le lire en chaussant les lunettes d'aujourd'hui, lire chaque phrase la sommant de rendre compte de l'entièreté d'un être, c'était anachronique et naif, mais aussi pédagogique, dans cette nai¨veté même.
Lévi-Strauss pour moi est un homme d'avant la mondialisation, qui a vécu l'anthropologie du lointain, de la certitude qu'il y avait des autres absolus, et qui a trouvé moyen de faire passerelle avec eux, par la recherche de patterns universels, ce n'était pas un point de vue idéologique, c'était des formes qui remontaient à la surface, issues de la lecture et de l'analyse de centaines de monographies. Lévi-Strauss a accepté de se farcir le travail d'aller chercher chez d'autres les sources et de les travailler, ce n'était pas jouissif. C'était un travail de "moine bénédictin", si j'ose dire.
Qu'on l'observe avec les lunettes de l'anthropologie du proche, sommé de rendre des comptes sur chaque mot employé, voilà qui m'a interrogé. C'est d'une certaine manière l'horizontaliser, le mettre syntagmatiquement dans un rapport à nous, convoqué pour nous parler de nous, comme si son propos avait été de nous parler de nous aujourd'hui. C'est l'instrumentaliser, non ?
Et je n'ai pu m'empêcher de comparer entre deux postures très différentes sur ce site, Judith qui sauve Mitterrand, au nom de son style politiquement incorrect, et vous qui sommez Lévi-Strauss au nom précisément de ses écrits politiquement incorrects. La fréquentation sexuelle de jeunes prostitués lointains est-elle préférable au malaise de Lévi-Strauss devant certaines apories religieuses ?
Comme si, à tous prix, l'enjeu était de chercher le contrepoint, la posture dérangeante.
Mais bon, vous êtes @si, c'est le job ; parfois je me sens en porte-à-faux, C'était le cas, aujourd'hui.
http://anthropia.blogg.org -
cath
Juste une petite précision quand au premier sujet de l'émission. La Toussaint n'est pas la fête des morts! la fête des morts est le 2 novembre...et si effectivement beaucoup vont se recueillir dans sur les tombes ce jour-là c'est qu'il s'agit un jour férié et qu'ils ne peuvent pas s'y rendre le lendemain.
Cath