"Donald Trump est le survivant d'une violence qu'il a lui-même encouragée"
La rédaction - - Médias traditionnels - 14 commentaires
L'événement, survenu à des milliers de kilomètres, a fait basculer les chaînes d'information françaises en édition spéciale, y compris très tard dans la nuit. L'ex-président des États-Unis touché par balles à l'oreille après une tentative d'assassinat : et voilà les caméras des médias français braquées sur l'Amérique, alors même que le feuilleton politique et parlementaire hexagonal bat son plein. Celui qui était décrié pour la violence de ses mots et de sa politique, celui dont les médias décrivent depuis des années les frasques judiciaires, est désormais l'objet de toutes les attentions bienveillantes. Après avoir échappé à la mort, Donald Trump se serait désormais assagi, prônant l'unité, et est décrit comme un survivant, voire un héros.
Les médias sont-ils devenus amnésiques ? Qu'est-ce qui se cache derrière la photo de Trump, oreille ensanglantée, brandissant son poing face à la foule de partisans ? L'émotion face au drame subi par Trump, mais aussi la communication et la propagande, ont-elles pris le pas sur l'information ? Pour y répondre, nous recevons trois spécialistes des Etats-Unis : la politologue Marie-Cécile Naves, l'historien Alexis Pichard et la journaliste Sonia Dridi.
"L'absence de mouvement de foule est révélatrice de la relation de Trump avec ses partisans"
La photo d'Evan Vucci, le photographe américain qui a immortalisé Donald Trump juste après la tentative d'assassinat qui l'a ciblé, a fait le tour du monde. Bien plus que la vidéo du meeting. "
I
l y a quand même quelque chose de fascinant dans cette vidéo qui souligne la dévotion des partisans de Trump à leur gourou, analyse Sonia Dridi. En général, dans ce genre de situation, il y a des mouvements de panique dans la foule, et là, au lieu de partir en courant et de se piétiner, ils regardent si leur candidat va bien. L'absence de mouvement de foule est vraiment révélatrice de la relation qu'entretient Donald Trump avec ses partisans."
Pancartes anti-immigrés : "La présence de femmes blanches sur les photos n'est pas fortuite"
La tentative d'assassinat envers Donald Trump a complètement occulté les thèmes de campagne du camp de l'ancien président des États-Unis. Lors de la convention à Milwaukee, les partisans du candidat républicain à l'élection présidentielle américaine ont brandi des pancartes "Mass deportation now" -
appelant donc à l'expulsion immédiate des exilé·es installé·es aux États-Unis. "
La présence de beaucoup de femmes blanches au premier plan qui brandissent ces pancartes n'est pas fortuite, observe Marie-Cécile Naves. Dans le mot d'ordre «Make America Safe Again» («Rendons l'Amérique sûre à nouveau»), le mot «safe», c'est contre les immigrés qui selon la rhétorique trumpiste «empoisonnent le sang du pays», ce sont «les violeurs et les voleurs»." Elle rappelle que cette rhétorique existait déjà en 2016. "Mais «Make America Safe Again», ce n'est pas une Amérique qui est «safe» pour les femmes qui veulent accéder à la santé gynécologique, à la contraception oui qui meurent car elles ne trouvent pas les moyens d'avorter."
Trump assuré d'être réélu ? "Il reste assez impopulaire"
Peut-on dire qu'après cette tentative d'assassinat, Donald Trump est assuré d'être réélu - comme l'ont fait nombre de commentateur·ices et journalistes ? "
C'est vraiment mettre la charrue avant les bœufs, estime Sonia Dridi. Je ne me suis pas du tout dit qu'il était déjà réélu. Je me suis dite que, oui, c'est du pain béni pour sa base électorale déjà extrêmement motivée. Là, sa base va être ultra-mobilisée. Les Républicains mettent d'ailleurs en avant le vote à distance, alors qu'ils le critiquaient auparavant, afin d'être sûrs que tout le monde puisse voter." Sonia Dridi souligne qu'il ne faut pas oublier "les électeurs démocrates et les indécis", qui ne vont pas voter pour Trump : "Il ne faut pas oublier que Donald Trump est assez impopulaire et que le pays est extrêmement divisé. Est-ce qu'il est déjà bien placé pour gagner ? Oui. Est-ce que sa capacité à mobiliser est encore enforcée ? Oui. Est-ce que cela va lui donner la victoire ? Je ne pense pas." Tous les regards sont désormais tournés vers Joe Biden et le retrait de sa candidature, qu'une grande partie du camp démocrate appelle ardemment de ses vœux.
Pour aller plus loin
- L'ouvrage d'Alexis Pichard, Trump et les médias
, éditions Valeur Ajoutée, 2020
- L'ouvrage de Marie-Cécile Naves, Trump, l
a revanche de l'homme blanc
, éditions Textuel, 2018
- L'ouvrage de Sonia Dridi, Joe Biden,
le pari de l'Amérique anti-Trump
, 2020
- L'interview dans Télérama
de l'historien André Gunthert, "Cette photo est une transformation qui n'a rien à voir avec la réalité"
, 16 juillet 2024