Crise de l'eau : "Il faut sortir du fait divers et du sensationnel"
La rédaction - - Médias traditionnels - (In)visibilités - 48 commentairesSérie d'été - Épisode 3
Comment vivra-t-on après la fin du monde, ou, en tout cas, de notre monde ? Comment s'y préparer ? Depuis la pandémie de Covid-19, la guerre en Ukraine, la succession d'étés caniculaires et l'inflation qui explose, le spectre de l'effondrement de notre société – qu'il soit climatique, social, politique, ou tout à la fois ne semble plus un lointain horizon, mais une possibilité bien réelle.
Après notre série d'été sur l'effondrement en 2018, cette année, Arrêt sur images
a choisi de revenir sur le sujet. Cette semaine, la sécheresse, le manque d’eau, l'inquiétude sur les récoltes, autant de sujets qui abreuvent les journaux télévisés ces dernières semaines avec une question angoissante en fil rouge permanent : aurons-nous assez d'eau cet été et dans les prochaines années ? Pourtant, rares sont les fois où la question de la responsabilité est véritablement posée. À qui la faute ? À nous, citoyens, très peu regardants sur nos usages ? Aux entreprises toujours plus consommatrices d'eau ? Au gouvernement, beaucoup trop timide dans ses décisions ? En d'autres termes, qui fait la guerre à l'eau ? Et quelles solutions les scientifiques posent-ils sur la table pour éviter d'avoir à choisir demain entre boire et manger ?
Pour y répondre, Nassira El Moaddem reçoit deux observatrices attentives des récits autour du manque d'eau en France : Charlène Descollonges, ingénieure hydrologue, co-autrice de L'eau fake or not (éditions Tana, mai 2023) et Marion Atzel, consultante en transition durable et membre de l'association Climat Médias qui milite et agit pour plus d'informations sur le climat dans les médias.
"Des solutions plutôt que des problèmes"
Dans les Pyrénées-Orientales, la sécheresse est telle que l'usage de l'eau potable par les habitants a été tout simplement interdit. Pour illustrer la catastrophe climatique, les journaux télévisés ont multiplié les reportages auprès des agriculteurs inquiets. Un procédé que regrette Charlène Descollonges : "On va aller questionner des sinistrés, des agriculteurs mais on ne pose pas le sujet du climat, le sujet de l'anticipation, le choix des cultures (...). On ne pose ni le problème ni les solutions alternatives pour transformer le modèle agricole". Même constat pour Marion Atzel : "On souhaiterait plutôt voir présenter des solutions et des alternatives".
"Il faudra choisir entre manger et boire"
Va-t-on être amenés à choisir demain entre manger et boire ? "Oui, répond sans hésiter Charlène Descollonges. Je pose vraiment la question et je la pose devant toutes les autorités. Aujourd'hui, on en est là. Dans 20 ou 30 ans, il faudra se poser la question dans certaines régions entre manger et boire. C'est un vrai sujet, c'est pour ça que je pose la question de la résilience des territoires, surtout dans une perspective où on aura des crises de plus en plus fortes, des canicules et des pertes de récoltes de plus en plus élevées".
"On est en train dé réfléchir en termes d'efficacité plutot que de sobriété"
Pour tenter de faire face, nombreux sont ceux qui tentent de trouver la solution d'innovation miracle à la sécheresse. Comme cette machine qui fabrique de l'eau à partir de... l'air, filmée par la caméra de TF1. "Ce qui est choquant dans ce reportage, estime Marion Atzel, c'est qu'on parle d'économiser l'eau alors même qu'on propose en réalité une solution pour augmenter l'offre. On est en train de réfléchir en termes d'efficacité plutôt que de sobriété; et ça, c'est un double message qui est envoyé".
Pour aller plus loin
- Le site internet de l'association Climat Médias et une analyse du traitement de l'information des enjeux climatiques, notamment de la sécheresse, dans les journaux télévisés en mai 2023.
- Le dossier sur les politiques de la sécheresse du Monde Diplomatique.
- Le dossier "Waterstories" de Mediapart : enquêtes sur l'industrie de l'eau en bouteilles.