Catastrophe à Mayotte : "Nous sommes face à une guerre des chiffres"

La rédaction - - Médias traditionnels - 64 commentaires


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C’est la plus grande catastrophe naturelle qui a touché la France depuis l'éruption de la montagne Pelé en 1902 à la Martinique et ses 30 000 victimes. La catastrophe du cyclone Chido de ce samedi 14 décembre 2024 a eu lieu dans un autre territoire d’outre-mer, cette fois dans l’océan indien, à Mayotte, île française par sa colonisation depuis avril 1841, devenue le 101ème département français en 2011. Mayotte, bout de terre français de 374 kilomètres carré, archipel des Comores situé dans le canal du Mozambique, avec à l’est l’île de la Réunion, dont elle est séparée par l’île de Madagascar.

Depuis six jours, les chaines nationales couvrent les conséquences de la catastrophe : habitations à terre, paysages recouverts de tôles et de débris et surtout, ces habitants qui ont tout perdu attendant encore aujourd'hui les secours, l’eau et la nourriture. Une question demeure, celle du nombre de victimes, de 35 décès officiellement à ce jour mais qui s’annonce bien plus lourd au vu de la dévastation de Mayotte, territoire de 300 000 habitants. 

On a voulu comprendre comment les Mahorais vivaient le récit médiatique de cette catastrophe, s’ils se reconnaissaient dans les images, les mots, le traitement que les médias font de ce qu’ils vivent dans leur chair. Pour nous éclairer, deux invités qui connaissent très bien Mayotte : Jacqueline Guez, réalisatrice, productrice, scénariste mahoraise et Cyril Castelliti, journaliste à La Provence, ancien correspondant à Mayotte et aux Comores.

"Mayotte a été relayée au second plan après le pape"

Samedi 14 décembre, les chaînes d'information en continue étaient en direct d'Ajaccio pour des éditions spéciales sur... la venue du Pape François. BFMTV par exemple n'a commencé à s'y intéresser que le soir, plusieurs heures après le passage du cyclone. Un constat qui ne surprend pas Jacqueline Guez. "En revanche, ce qui m'étonne c'est qu'on savait depuis 48 heures que le cyclone allait être d'une intensité exceptionnelle. Pour d'autres catastrophes, les chaînes s'adaptent et changent leurs programmes pour informer heure par heure". Ajoutant : "Mais ce traitement est tout à fait cohérent avec le traitement médiatique habituel. Pour la plupart des Hexagonaux, Mayotte est un non-sujet, nous n'existons pas."

"Je suis désolée mais les morts, ça ne court pas !"

S'agissant du nombre de victimes, il y a le décalage entre les chiffres des victimes officiels, 35 décès aujourd'hui, et les témoignages sur le terrain. "Un décalage insupportable", pour Cyril Castelliti. "On entend les remontées de terrain de nos proches. J'ai un ami qui, dans le bidonville de Kaweni, me disait qu'ils soulevaient les tôles et qu'ils voyaient des cadavres." 

Jacqueline Guez rapporte aussi le témoignages de ces proches qui ne comprennent pas les chiffres officiels avancés. "Ma mère me disait qu'ils avaient enterré une soixantaine de personnes sur une seule journée". Et de regretter une explication avancée. "Je lis beaucoup le fait qu'on explique que le comptage est difficile car dans le rite musulman, il faut enterrer les morts rapidement. Dans ce cas-là, le rite musulman les arrange bien. Pendant le Covid, le rituel du lavage mortuaire avait été interdit. Là, tout à coup, il faut laisser les Mahorais enterrer leurs morts selon le rite musulman.  On nous explique qu'on ne saura jamais le nombre de morts et que recenser est impossible. Je suis désolée mais les morts, ça ne court pas !"

"On ne peut pas faire abstraction du relent colonial de ces images et de ce discours"

Jeudi 19 décembre 2024, Emmanuel Macron s'est rendu à Mayotte. De nombreux habitants l'ont interpellé sur la gestion de la crise notamment pour dénoncer l'absence de secours, le manque d'eau et de nourriture. Ce à quoi le président de la République a répondu par ces mots. "Vous avez vécu quelque chose de terrible. Tout monde se bat quelque soit la couleur de peau. Mais n'opposez pas les gens ! Si vous opposez les gens, on est foutus parce que vous êtes bien contents d'être en France. Parce que si ce n'était pas la France, vous seriez dix mille fois plus dans la merde". Des propos "difficilement supportables" selon Cyril Castelliti. "Vous avez tout perdu et vous vous faites engueuler et en plus, faut dire merci. On ne peut pas faire abstraction du relent colonial de ces images et de ce discours".

ALLER PLUS LOIN

"Le cyclone Chido a frappé Mayotte", Météo France, 16 décembre 2024

"Cyclone Chido à Mayotte, comprendre le phénomène météorologique et son impact catastrophique, The Conversation, 18 décembre 2024

Cyril Castelliti, "Opération Wambushu", Les Jours, avril 2023

Jacqueline Guez, "Colocs", France Télévisions


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