Primaire - 33 : pourquoi il faut toujours lire les livres jusqu'au bout
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 61 commentairesMais pour qui roule mon scooter ? (5)
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Depuis que notre matinaute a annoncé sa volonté d'aller voter, en scooter, à la primaire de la droite et du centre, pour barrer la route de l'Elysée au "Gaulois" Nicolas Sarkozy, il doit essuyer une rebellion ouverte dudit scooter, qui tente de l'en dissuader par tous les moyens. Mais pour qui roule le scooter du matinaute ?
Il y a les lundis avec, et les lundis sans. A quelques scintillements malicieux de sa peinture noire, j'ai vu tout de suite que c'était, pour lui, un lundi avec. A la lecture du Monde, mon scooter avait trouvé son aliment du matin.
- Tiens, tu n'es pas seul, tu vois. Une journaliste du Mondea inscrit son chat à la primaire écolo. Sous le nom de Gaston Lecat. Et le chat a été inscrit. Tu en penses quoi, de cet exploit journalistique, toi qui défends sans relâche un journalisme intègre et sérieux ? Au fond, elle n'est pas si différente de toi. Tu es le Gaston Lecat de la primaire de la droite. Tu réalises tout de même que tu fais la même chose, en claironnant ta volonté de participer à la primaire de la droite.
- Bah, ce n'est pas un scoop. S'il n'y a pas de vérification d'identité, cette primaire écolo vaudra ce que valent les pétitions en ligne, ou les sondages en ligne. Pas grand chose. Mais on le savait déjà. Si les organisateurs fixent des règles souples, ils doivent s'attendre à en subir les conséquences. Et puis, c'est facile. Ce n'est pas d'aujourd'hui, que les journalistes adorent ridiculiser les écolos. C'est si facile. Et c'est sans risque. Pas de cible plus inoffensive que les écolos.
- Ah, puisque tu parles de cibles trop faciles...
On y arrivait. Je savais exactement sur quoi il allait m'attaquer.
- ...tu sais à quoi j'ai employé mon week-end ?
Bien sûr, que je le savais.
- J'ai lu "Un président ne devrait pas dire ça", le livre de Davet et Lhomme, dont tu parlais si imprudemment la semaine dernière, sur la foi de trois ou quatre phrases sorties du contexte. Mais moi, je l'ai lu vraiment. Jusqu'au bout.
C'est un scooter obsessionnel, qui ne renonce jamais. Tel maître, tel scooter : j'avais employé mon week-end à la même chose. Avec stupéfaction. Et je savais que nous étions arrivés à la même conclusion. Pas d'autre choix que de subir la punition.
- Tu t'es laissé avoir par l'hystérie de la promo. Les phrases sur les footballeurs datent de 2012. Les trois bouts de phrases insultants sur les juges sont contrebalancés par une enquête détaillée dont il sort indemne : en tant que président, il n'a jamais entravé la Justice, et a même refusé de se mêler de toutes les affaires judiciaires touchant à ses proches. Dans toutes ces affaires, comme l'affaire Cahuzac, s'il est coupable de quelque chose, c'est de naïveté, et d'un excès de confiance dans la nature humaine.
Je savais que c'était vrai. Les extraits de la promo donnaient cette impression, bien résumée par un de nos forumeurs : "Une digue vient de sauter. Le président de la République, sur l'Islam, les juges et les footballeurs, parle comme l'extrême-droite. Il pense aussi qu'une femme voilée est inférieure à une femme non-voilée, comme le premier candidat à la primaire de droite venue. Tout le monde parle comme l'extrême droite. Il ne manquait plus que le président. Voilà qui est fait. Maintenant, on lit les mots de Zemmour différemment ; il dit avec des insultes des choses dites par Hollande, mais dans un langage châtié. Donc, la politique, toute la politique à droite de Gérard Filoche emploie les mot du Front National et ça ne chagrine personne. L'élection présidentielle sera donc la validation d'un reniement de la démocratie. On n'est pas dans la mouise". Mais la lecture des 660 pages complétait cette impression. On y découvrait un président qui a fait le job, en professionnel, selon sa logique à lui. Je m'étais laissé avoir par trois ou quatre phrases bien saignantes qui donnaient une idée fausse du personnage. Malgré la mauvaise foi présidant depuis le début à nos échanges, je lui ai reconnu le point.
- Je suis d'accord. A la lecture du texte intégral, ce n'est plus en personnage de beauf vaguement suicidaire, qu'apparait François Hollande. C'est un autre personnage. Dissimulateur, comme dans le cas de la Loi Travail, où il avoue avoir tenté d'avancer masqué jusqu'au bout. Ou louvoyant, comme dans le dossier des 3% de déficit, dans lequel il reconnait avoir finassé avec la Commission Européenne, avec la complicité active de cette dernière. Deux passages qui n'ont pas (encore ?) été relevés par la presse, mais sont parmi les plus instructifs du livre. Il faut lire le livre entier, pour comprendre pourquoi il s'est ainsi livré pieds et poings liés aux deux journalistes : pour faire désespérément reconnaître, faute de réussite, faute d'audace, faute de charisme, au moins sa cohérence. Ce n'est pas forcément plus glorieux. Mais c'est différent.
(A suivre)
Gaston Lecat, du Monde, électeur de la primaire EELV