"Sur l'islam, les medias choisissent l'angle pour ou contre"
La rédaction - - 363 commentairesAdrien Candiard et Nassira El Moaddem sur notre plateau
La charia, le djihad, le salafisme, le wahhabisme… la conversation médiatico-politique s’est si bien emparée de la question de l’islam que l’on n’y comprend plus rien. Est-il plus réaliste de tenter de comprendre l’islam ou de comprendre pourquoi on n’y comprend rien? C’est entre ces deux projets que balance notre invité Adrien Candiard, frère dominicain, membre de l’Institut d’études orientales du Caire et auteur du livre Comprendre l’islam ou plutôt : pourquoi on y comprend rien. Il est accompagné de la journaliste et directrice du Bondy blog Nassira El Moaddem.
Résumé de l’émission par Anne-Sophie Jacques
[Acte 1]
Commencer par un aveu d’incompétence, chapeau ! Dès ses premiers mots, notre invité Adrien Candiard annonce franchement la couleur: si ses supérieurs, à la fin de ses études de théologie, lui ont demandé d’essayer de comprendre l’islam en l’envoyant à l’Institut d’études orientales au Caire, il avoue qu’après quatre ans passés en Egypte entouré de musulmans, il ne se sent expert de rien. Et encore moins des sujets que d’aucuns relient à la religion, tels le nucléaire iranien, la composition exacte de l’armée irakienne ou encore les circuits de financement occulte des mosquées en France. Et d’ajouter que sur la question de l’islam, "on entend parler les politologues, à la rigueur des médiévistes, des historiens, mais très peu de gens qui travaillent sur l’islam comme religion".
Il y a deux erreurs courantes, écrit Candiard dans son petit livre issu d’une conférence donnée au lendemain des attentats de novembre dernier : "la première est de croire que l’islam existe et la seconde est de croire qu’il n’existe pas". Auparavant, nous explique l’auteur, toutes les questions liées à la présence des musulmans étaient vues sous un aspect culturel, ethnique, national ou économique. Aujourd’hui, la question majeure semble théologique, et c’est une erreur, regrette Candiard. Et croire que l’islam est la clé de tout est une erreur car il n’existe pas un islam mais des islams – et pas seulement entre les sunnites et les chiites. Et pour autant, il est tentant d’esquiver le sujet en prétendant qu’il n’existe pas un seul islam… et de fait ne pas répondre aux questions posées. "L’islam est une réalité ne serait-ce que dans la conscience des musulmans" ajoute Candiard.
[Acte 2]
Impossible de le louper : à l’occasion de la sortie de son dernier recueil de chroniques, Un quinquennat pour rien, Eric Zemmour était de tous les plateaux télés pour nous expliquer qu’islamisme et islam se confondaient, qu’il n’y a pas de musulmans modérés ou encore que le Coran ne peut être interprété. Candiard reconnaît que l’islamisme comme idéologie unifiée n’existe pas vraiment, c’est une invention d’observateurs extérieurs qui ont voulu nommer certains mouvements extrémistes d’un nom unique – comme les fondamentalistes chez les protestants ou les intégristes chez les catholiques – mais qui ne regroupe rien de cohérent tant la différence entre islamisme politique (les Frères musulmans) et salafistes, par exemple, est grande. Pour autant, au nom de quoi Zemmour, non musulman, s’autorise-t-il à dire ce qu’est le véritable islam ?
Deuxième erreur de Zemmour : penser que le véritable islam se trouve dans le Coran. Un texte incompréhensible, assure Candiard. D’une part parce que le sens des mots n’est pas certain – les houris retrouvées au paradis peuvent signifier vierges ou bien grappes de raisin selon les travaux du chercheur, certes controversé, Christoph Luxenberg – mais aussi parce que le Coran, parole révélée de Dieu, est très allusif, très répétitif et bourré de contradictions. Il ne suffit donc pas d’ouvrir un texte né dans l’Arabie du 7esiècle pour le comprendre, explique Candiard. Il faut un guide d’interprétation pour s’y retrouver. Par ailleurs, les hadiths, corpus d’anecdotes ou propos rapportés du prophète composés de dizaine de milliers de textes, sont tout aussi important que le Coran. "Je doute que Zemmour ait exploré ces textes", souligne notre invité.
"Quel intérêt à inviter Eric Zemmour ?" se demande de son côté Nassira El Moaddem. La journaliste et directrice du Bondy Blog estime que, pour avoir une précision sur une question théologique, mieux vaut inviter des experts bien plus légitimes. De plus, Zemmour donne le sentiment d’avoir un agenda politique.
[Acte 3]
Sur l’islam, explique Candiard, les médias choisissent bien souvent l’angle pour ou contre. Pourtant, on a d’abord besoin d’informations avant d’avoir un débat sur l’islam poursuit-il. Et question connaissance, l’actualité nous a pourtant fourni un rapport signé par l’Institut Montaigne, couplé à une enquête menée par l’IFOP sur les musulmans en France et diffusée dans le Journal du Dimanche le 18 septembre dernier comme nous le racontions ici. Le sondeur a exploité un panel de 15 459 personnes en posant la question de la religion puis a retenu 874 musulmans et 155 personnes "de culture musulmane" soit 1 029 personnes à qui un questionnaire à choix multiple a été soumis. Parmi les questions, on peut noter celle-ci : "Diriez-vous que la foi religieuse est pour vous d’abord quelque chose de privé ? Oui, tout à fait / Oui, plutôt / Non, plutôt pas / Non, pas du tout / Refuse de répondre / Ne sait pas."
Bilan: on apprend qu’il y a entre 3 et 4 millions de musulmans en France, qu’une femme sur trois est voilée ou encore que deux tiers estiment que la laïcité permet de vivre librement sa religion. A noter que le rapport ne contient pas cette seule enquête mais également des propositions dont la première vise à "sortir l’islam de France de la minorité en comprenant queles musulmans ne sont ni des mineurs qu’il faut mettre sous tutelle ni des irresponsables toujours divisés qu’il faudrait considérer avec commisération […]". Mais qu’ont retenu les médias ? Le chiffre de 28% de musulmans qui placent la charia au-dessus de la loi de la république. Pourtant, même les auteurs de l’étude – Hakim El Karoui et le politiste qui a chapoté l’enquête, Antoine Jardin – relativisent ici et là ce chiffre de 28%. Invités à participer à notre émission, les deux hommes n’étaient pas disponibles.
El Moaddem condamne la façon dont le JDD a vendu son enquête sur les musulmans qui "surprend" et surtout qui "révèle qui ils sont, ce qu’ils pensent et comment ils vivent. Comme si les musulmans ne vivaient pas dans la communauté nationale", s’étrangle la journaliste. "Donner à comprendre au grand public qui sont les musulmans dans leur diversité", c’est intéressant en soi, ajoute El Moaddem, mais "le JDD nous donne à penser qu’on va nous expliquer qui sont les extraterrestres musulmans". L’enquête du JDD ne surprend pas, elle informe.
Pour Candiard, l’enquête révèle surtout un clivage entre les générations. Les plus jeunes ont un rapport plus identitaire à leur religion – c’est-à-dire une façon plus accrue de chercher dans la religion ce qui va nous définir. Et la question de l’enquête sur la charia et la république est ambiguë : en effet, pour beaucoup, la charia est la règle qui veut qu’on coupe la main des voleurs. Or la charia, c’est la volonté de Dieu. Dit comme ça, il lui apparaît surprenant que seuls 28% des musulmans mettent la volonté de Dieu au-dessus des lois de la République. Pour notre invité dominicain, la loi de la conscience peut être en effet supérieure aux lois de l’Etat.
[Acte 4]
Dernier exemple de traitement de l’islam dans les médias : la nouvelle émission de M6, Dossier Tabou, dont le premier numéro a été consacré au sujet le mercredi 28 septembre. Pendant deux heures, Bernard De La Villardière a enquêté dans un hôpital de Seine-Saint-Denis mais aussi dans la ville de Sevran où le maire Stéphane Gatignon est accusé de clientélisme, tout comme l’ancien maire de Paris Bertrand Delanoë est accusé d’avoir financé une salle de prière au cœur l'Institut des Cultures d'Islam à la Goutte d'Or dans le 18earrondissement. Il enquête également dans les prisons mais aussi sur le financement de la religion musulmane par des puissances étrangères, comme l’Arabie Saoudite, ou encore sur la formation de ses imams. Le présentateur s’est également intéressé au port du voile.
"La question du voile renvoie à un débat très ancien sur la question de la foi" explique Candiard. Dans le monde occidental, la foi est l’adhésion intérieure à Dieu. Dans le monde musulman, du moins dans certaines écoles, la foi et les œuvres sont inséparables. De Dieu, on ne connaît que la volonté. Pour avoir la foi, et surtout pour la garder, les musulmans choisissent de se laisser pousser la barbe ou porter le voile pour adhérer constamment aux commandements de Dieu. Doit-on parler de soumission (comme dans le livre de Michel Houellebecq) ou d’adhésion ? Ce peut être une soumission à Dieu ou, selon la traduction, un abandon… L’islam n’est ni ni l’autre mais les deux à la fois, conclut Candiard.