Sur la "touchante" manifestation des musulmans de Mantes

Daniel Schneidermann - - (In)visibilités - Le matinaute - 119 commentaires

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Une manifestation

"touchante", dit ce matin Thomas Sotto, d'Europe 1, à propos de la manifestation de musulmans à Mantes-la-Jolie, "contre la barbarie". Après l'assassinat d'un couple de policiers à leur domicile, le 13 juin, par un radicalisé, plusieurs milliers de personnes ont défilé le 19 juin, à l'appel du "collectif des mosquées du Mantois". Elles ont déposé une gerbe devant le commissariat de Mantes-la-Jolie. Beaucoup d'entre eux, ils l'ont dit aux reporters, manifestaient pour la première fois. Certains, par crainte de figurer sur les photos et d'être reconnus, avaient renoncé à venir.

"Touchante" donc. Pourquoi cet adjectif est-il dérangeant ? Est touchant, ce qui nous touchera un bref instant, nous effleurera d'un doigt léger, et puis qu'on oubliera. Le geste touchant est promis à l'oubli. Dans la hiérarchie, il se situe un cran au-dessous du geste émouvant qui, lui, réussit à faire plus durablement trembler le permafrost de nos sensibilités. Quelques jours plus tôt, par exemple, la manifestation des policiers, sur le même sujet, n'était pas jugée "touchante", mais, elle, carrément émouvante

Quand il manifeste, le musulman, lui, est "touchant". Il fait ses débuts de manifestant, de citoyen, à petits pas hésitants, comme un agnelet nouveau-né. On sent qu'il veut bien faire, et c'est cette maladresse qui nous touche. Il peut bien avoir préparé ses banderoles, ses pancartes, son image pour la télé (les scouts en première ligne, derrière la banderole), comme les vrais manifestants : il n'envoie pas un message politique, mais un involontaire message affectif. Ah, ces musulmans. Qu'ils ne manifestent pas après les attentats, et on les somme de "prendre la parole", de se désolidariser. Et quand ils se manifestent, comme ils sont "touchants".

Les medias ne l'ignorent pas, la touchante manifestation, non, mais la relèguent dans les profondeurs des journaux. On lui accorde bien moins de place qu'à l'étude approfondie des motivations de l'assassin, et de sa biographie. Le 20 Heures de France 2, par exemple, n'y consacre qu'une minute, la moitié du temps consacré à la manif des policiers. Seul Le Monde a délégué sa reporter star, Florence Aubenas, laquelle note, par exemple, que pas un policier n'est sorti du commissariat, quand les manifestants sont venus y déposer leur gerbe.

Cette manifestation des musulmans du Mantois n'est pas "touchante". C'est une courageuse manifestation politique, porteuse d'un très clair message politique. Et qui aurait mérité d'être ainsi traitée par les medias.

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