Affaire Baupin : "La bonne manière de dénoncer des violences ? Il n'y en a pas !"
La rédaction - - 92 commentairesNotre débat avec L. Bredoux, V. Jerome et D. Trichet-Allaire
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Que dire sur le harcèlement sexuel dans le milieu politique ? Quand le dire ? Faut-il donner des détails ou non ? Faut-il ou non donner les noms des harceleurs ? Lorsqu'on est soi-même journaliste et harcelée, faut-il signer de son nom des tribunes de protestation ? Toutes ces questions qui se posent aux victimes ont ressurgi à l'occasion de l'affaire Denis Baupin, ce vice-président écologiste de l'Assemblée nationale démis de ses fonctions après les révélations de l'enquête conjointe de Mediapart et France Inter.
Nous les évoquons avec la journaliste de Mediapart Lenaig Bredoux, auteure de l'enquête sur Denis Baupin, la politiste spécialiste des Verts et d'EELV Vanessa Jérome, et la présidente de la commission féminisme d'EELV Dominique Trichet-Allaire.
L'émission est présentée par Daniel Schneidermann, préparée par Justine Brabant et Sonia Villagrasa
et déco-réalisée par Sébastien Bougine et François Rose.
La vidéo dure 1 heure et 25 minutes.
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Le résumé de l'émission, par Justine Brabant
Elles s'appellent Sandrine Rousseau, Elen Debost, Isabelle Attard et Annie Lahmer. Elles sont porte-parole d'EELV, adjointe à la jeunesse à la mairie du Mans, députée, et conseillère régionale. Depuis le 9 mai, elles sont aussi celles qui ont osé prendre la parole pour témoigner de faits pouvant être qualifiés de harcèlement et d'agression sexuelle de la part du député de Paris Denis Baupin. La médiatisation de leurs témoignages par Mediapart et France Inter a conduit ce dernier à démissionner de ses fonctions de vice-président de l'Assemblée nationale. Elle a également conduit le parquet de Paris à ouvrir une enquête préliminaire.
Lenaig Bredoux revient d'abord sur la genèse de son enquête: les témoignages imprécis sur un "dragueur lourd", lorsqu'elle couvrait les Verts avant leur entrée au gouvernement en 2012, le premier témoignage direct sur Baupin, il y a un an, et enfin les deux mois d'enquête pour recouper et rassembler d'autres témoignages. "Les témoignages anonymes ont été les plus difficiles à recueillir", explique-t-elle, car ils concernaient des femmes "liées par des relations de travail" à EELV ou craignant pour leur avenir professionnel.
Pour l'heure, Baupin n'a pas réagi. Le député a simplement fait savoir, via son avocat Emmanuel Pierrat, qu'il "contest[ait] fondamentalement l'idée de harcèlement sexuel et plus encore d'agression sexuelle, lesquels lui sont totalement étrangers". En revanche, l'ancienne secrétaire nationale d'EELV et épouse de Denis Baupin Emmanuelle Cosse était interrogée le 10 mai sur France info. Elle y assurait n'avoir "jamais été saisie" de signalements sur des faits de harcèlement sexuel ou d'agression sexuelle lorsqu'elle était à la tête du parti (de décembre 2013 à février 2016).
Pour notre invitée Dominique Trichet-Allaire, il est évident que l'ancienne secrétaire nationale était au courant de tels agissements: la présidente de la commission féminisme d'EELV a elle-même alerté sur les questions de harcèlement et de viol au sein du parti lors d'un conseil fédéral, en mai 2015. Cosse a-t-elle alors cherché à changer rapidement de sujet, comme l'a affirmé sur Europe 1 le conseiller de Paris Yves Contassot? (Acte 1)
Non, selon notre invitée : "Après mon intervention, Emmanuelle Cosse monte à la tribune, et dit: 'Ce qui vient d'être dit est grave, on ne peut pas passer au sujet politique suivant comme ça. Nous allons échanger entre nous.' Suite à quoi il y a eu différentes prises de parole, par exemple celle de la conseillère fédérale Francine Bavay. Il y a bien eu un débat après, même s'il n'était pas très constructif parce qu'il y avait trop d'affects." Une version confirmée par Bredoux: "De fait, j'ai discuté avec plusieurs personnes qui ce jour là ont pris la parole après l'intervention de Dominique Trichet-Allaire. Je pense que Yves Contassot a un souvenir assez partiel de cette réunion."
Avant la prise de parole de Trichet-Allaire, une autre voix avait évoqué, prudemment, la question du harcèlement et d'éventuelles agressions sexuelles chez les écologistes: celle de notre invitée Vanessa Jérome. Dans une communication présentée au congrès 2013 de l'Association française de science politique (en .pdf ici), elle évoquait l'existence d'une "sorte de «DSK des Verts»", "sembl[ant] bénéficier d’une forme de bienveillance, qui n’est pas sans rappeler celle dont bénéficie Dominique Strauss-Kahn".
Comment a-t-elle eu connaissance de ces rumeurs ? La chercheuse est aussi militante chez les Verts depuis 2002. Elle entend pour la première fois des rumeurs concernant Baupin "en 2004". "En 2013, j'ai pris le risque d'écrire. Je me suis dit: «Est-ce que je peux faire un papier, dans une section thématique de congrès qui s'appelle 'Affaires sexuelles, questions sexuelles, sexualités', sans parler des rumeurs que je connais?» (…) Le 'DSK des Verts' est une formule entendue plusieurs fois chez les Verts, c'est pour ça que je l'ai citée." Une formule qui a ses limites, mais reste néanmoins éclairante, selon Jérome: "Je pense que les affaires, sur le fond, ne sont pas comparables. Mais elles disent quelque chose de l'imaginaire dans lequel sont les militantes à ce moment là: ça dit la question du harcèlement, du caractère renouvelé, et ça dit la sorte de bienveillance [dont Baupin, comme DSK, aurait bénéficié], car plein de gens ont l'air d'être au courant, et il ne se passe rien." (Acte 2)
Pourquoi un si long silence, au sein d'un parti réputé féministe? Vanessa Jérome rappelle d'abord qu'il faut relativiser cette image de parti qui aurait "le féminisme dans son ADN" : jusqu'aux années 1980, rien, dans les textes fondateurs du parti, ne fait référence au féminisme ou à la parité. Et si aujourd'hui, les écologistes ont "un rapport libéral à la norme sexuelle" et sont "les plus ardents défenseurs de l'égalité des droits, de l'égalité des statuts, des différences de sexualité et de genre", ils n'échappent pas au fait... qu'ils font de la politique. Or, "quand on fait de la politique, qu'on soit une femme ou un homme, on vous dit: 'La politique, c'est être capable d'encaisser les coups et d'en donner.' Une femme politique 'sait' donc qu'elle doit être capable d'encaisser le sexisme et le reste, sinon elle ne sera pas une 'vraie' femme politique", analyse Jérome.
Dans leurs interventions respectives, en 2013, ni Trichet-Allaire ni Jérome ne donnent le nom de Baupin. Faut-il nommer ou non les personnes visées par des accusations de harcèlement ou d'agressions sexuelles? La question s'est également posée pour Bredoux en 2015, lorsqu'elle a cosigné (avec une quarantaine de femmes journalistes) une tribune dans Libération pour dénoncer le sexisme d'hommes politiques français. "L'idée était de faire une tribune, pas une enquête journalistique. Ce n'est pas le même registre. (…) On a eu un débat entre nous sur cette question, mais on s'est dit que l'idée était de dénoncer un fonctionnement endémique, une persistance structurelle du sexisme en politique. On s'est dit que si on ne mettait que quatre noms, on allait parler des six noms et ne pas avoir ce débat." (Acte 3)
Dans cette tribune, le cas d'un ministre était évoqué: "un ministre qui, nous voyant penchée pour ramasser un stylo, ne peut retenir sa main en murmurant :«Ah mais qu’est-ce que vous me montrez là?»". Un an plus tard, en février 2016, son nom était livré, dans un livre du journaliste du Point Aziz Zemouri et de la journaliste indépendante Stéphanie Marteau: il s'agissait de Michel Sapin. Le ministre a fini par admettre, dans un communiqué publié après les révélations sur Baupin, avoir commis à l'époque un "geste inapproprié".
De George Tron à Dominique Strauss-Kahn, à chaque affaire d'agression sexuelle par des politiques, la riposte s'organise par médias interposés. Parmi les arguments désormais classiques des soutiens des mis en cause: le complot ourdi par des adversaires politiques. Dans l'affaire Baupin, ce sont l'ancienne eurodéputée Corine Lepage, le secrétaire d'Etat Jean-Marie Le Guen ou encore le chroniqueur de RTL Eric Zemmour qui ont émis l'hypothèse d'un règlement de comptes interne au parti écologiste. La journaliste de Mediapart... s'est aussi posé la question. "Comme sur n'importe quelle enquête, on se dit: est-ce que les filles [qui ont parlé] ne se sont pas mises d'accord?". Mais dans ce cas, rien ne permet d'étayer l'hypothèse du règlement de compte politique, assure Bredoux: "Quand vous faites l'enquête, que vous interrogez absolument tout le monde, y compris des proches de Baupin, et que personne ne vous dit que tout cela est une grande affabulation, vous vous dites que le débat sur le règlement de comptes politique est assez absurde."
Des révélations "qui tombent mal" ? La présidente de la commission féminisme d'EELV est également sceptique (et remontée): "Il n'y a jamais de bon moment pour dénoncer des violences sexuelles. C'est ça la réalité. Jamais personne n'est prêt à les entendre. Et quand cela arrive, on essaie toujours de trouver de mauvaises excuses, et de faux prétextes. Moi, plusieurs personnes m'ont dit 'Il ne faut pas le dire maintenant', 'Il ne faut pas le dire comme ça'. La bonne manière de faire, pour dénoncer des violences? Je ne connais pas. Il n'y en a pas." (Acte 4)
Deuxième type de réaction à la médiatisation "d'affaires" : l'injonction à donner les noms. Ce fut l'objet cette semaine d'une passe d'armes par presse interposée entre Cécile Duflot et Stéphane Le Foll. Le porte-parole du gouvernement a estimé que si Duflot était informée de certains cas (la coprésidente du groupe écologiste à l'Assemblée nationale a affirmé qu'il y avait "beaucoup de Denis Baupin à l'Assemblée"), elle devait les rendre publics. "Mais elle dit quelque chose sur lequel il y a déjà eu des enquêtes journalistiques!", rappelle Bredoux, citant notamment un article du Figaro sur des témoignages de collaboratrices d'élues racontant des agressions sexuelles.
Dernière question posée par ce type d'affaires: est-ce que les choses changent? De Patrick Balkany, accusé par son ex-suppléante Marie-Claire Restoux de lui avoir fait des "avances récurrentes" en 2010, qui démentait en affirmant que Restoux "n'était pas son type" au sénateur de Paris Pierre Charon qui, encore il y a quelques mois, dans un documentaire de Canal+, prenait la défense des députés ayant sifflé Cécile Duflot portant une robe à l'Assemblée nationale, cela ne semble pas gagné. Le diagnostic de Vanessa Jérôme est mitigé: "Ça bouge. Dans l'univers politique, ça devient de moins en moins tolérable. Mais ce qui m'inquiète, c'est que de gros travaux ont été faits par des équipes de politistes, qui montrent que même quand on essaie de prendre des mesures vertueuses [sur la parité, etc.], il y a toujours ensuite une sorte de révolution conservatrice." (Acte 4)
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