La gifle, ou l'increvable vieille télé
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 43 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
Elle a tout de même de beaux restes, la vieille télé. Je veux dire la télé stupide
, la télé vide-cerveaux disponibles, consommée en direct par la foule du métro, comme disait Malraux. On la croit enterrée par les replay, les jeux video et les réseaux sociaux. Mais non. Elle est encore là, increvable, la garce. Cette histoire de la gifle, tout de même. Ce déferlement de tweets, ces textos, hier soir -"t'as vu la gifle ?" "Il faut que tu voies la gifle". Si ça n'a pas fait sauter les serveurs, c'est que les serveurs sont rudement solides. En tous cas, ils ont dû chauffer. Pas bonne pour la planète, cette gifle.
Je vous raconte tout de même ce que j'en ai reconstitué, ayant dû faire mon rattrapage après coup parce que j'avais manqué l'événement en direct. Or donc, Hanouna (D8) envoya son chroniqueur Gilles Verdez dans la loge où patientait Joey Starr avant la Nouvelle Star (D8), dont le rappeur-comédien est un des jurés. Ledit Starr, s'estimant importuné en cet instant d'intense concentration, gifla Verdez (je résume à grands traits. Il y a aussi une histoire de douleur à l'épaule sur laquelle je n'ai pas eu le temps de mener une enquête sérieuse).
Malencontreusement une des bagues de Joey érafla le front de Verdez, lequel sortit donc "en sang" de la loge. S'estimant personnellement offensé, Hanouna menaça de ne pas rendre l'antenne à... La Nouvelle Star (programme qui le suivait sur la même chaîne). Puis, après avoir finalement rendu l'antenne en échange de la promesse d'excuses qui ne vinrent jamais, il menaça de ne pas animer son émission le lendemain (aujourd'hui). Comme disait à l'instant la chroniqueuse de RTL, racontant les déboires de "Gilles" et "Cyril", "on en est là. Développements dans la journée". En d'autres termes, comme après l'attentat de Sarajevo, nous vivons désormais des heures suspendues.
Ne cherchons pas du sens à ce qui n'en a pas. Ne nous demandons même pas si l'incident sert la sous-télé de Bolloré (buzz garanti toute la journée) ou s'il est révélateur de l'ingouvernabilité de cet empire désormais déchiré contre lui-même. C'est évidemment les deux à la fois. Ayant consciencieusement détruit Canal+ et fait chuter le nombre de ses abonnés, Bolloré pourrait bien être sauvé par ce miracle : transformer l'effondrement de son empire audiovisuel en spectacle de gladiateurs remonte-audiences. C'est d'ailleurs totalement indépendant de la personnalité de Bolloré. C'est la dynamique propre de la télé, qui est ici à l'oeuvre, la télé qui fait mécaniquement péter les plombs de ses animateurs surpayés.
La vieille télé, j'y reviens. Celle qui rassemble les ados et les intellos. Vous auriez vu notre colonne Twitter, hier soir, fanzouzes, journalistes, intellos, tous mêlés dans un commentaire rigolard et informe du non-événement. Commentateurs du premier, du deuxième et du huitième degré, tous dans la mêlée, tous partageant la fièvre du non-moment, la délectation du rien, le bonheur illusoire d'être non-ensemble, d'avoir un non-sujet commun, et les réseaux sociaux à la traine de cette fièvre-là. La vieille télé, dans toute sa splendeur, dans toute son horreur.