La France selon Field et Hollande
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 144 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
La voilà donc en action, la France selon Field et Hollande, co-producteurs de l'émission.
Le voilà donc, le carré français idéal selon la télé d'Etat. La startupeuse sexy, le mariniste nordiste, la mère de djihadiste, et l'étudiant nuitdeboutisant (avec séquence de présentation où il applaudit aux assemblées générales de la place de la République devant la caméra de France 2, pour bien montrer qu'il "soutient le mouvement"). N'y manque qu'un tout petit détail, un grain de sable, trois fois rien : les ouvriers non marinisés, car parait-il, il en reste quelques uns. Ils étaient prévus, en la personne de Nadine Hourmant, ouvrière chez le volailler Doux (son portrait ici, et son interview périscopée là). Une plume élyséenne courageuse l'a rayée au dernier moment. Rayée, la colère du peuple. Pour Field et Pujadas, il n'est de colère légitime que lepéniste.
Mme Envie de Fraise ouvre le bal. Elle vend des tenues pour femmes enceintes sur Internet, ça marche du feu de Dieu. Ah comme elle aimerait embaucher, se développer, partir à la conquête des femmes enceintes du monde entier, si elle n'était pas freinée, entravée, bridée, par une réglementation tâtillonne. Un seul exemple : elle souhaiterait faire des contrats de 20 heures hebdomadaires. Or, en-dessous de 24 heures, interdit. Niet. Géniale trouvaille, que celle d'associer le discours patronal à la Procréation Triomphante. Voilà Hollande, par contrecoup, campé en triste sire, ennemi de la Natalité, en bourreau de bébés à naître. Mais tous les calculs se retournent : l'échange permet à Hollande, en lot de consolation, de se caler dans ses marques de gauche, de rappeler timidement mais fermement qu'il serait bon, dans le festin, de ne pas oublier le strapontin des salariés. Match nul.
Se succèdent les autres, chacun son tour, chacun à sa place, dans une sage succession qui constitue la véritable victoire de la télé hollandisée sur la colère populaire. S'ils n'ont servi qu'à ça, Ernotte, Schrameck, Field, Pujadas, à canaliser ce défilé dans les rails prévus, à entraver tout surgissement, ils auront bien mérité leur poste. Surtout pas de dialogue entre les témoins, surtout pas de dispositif permettant -horreur !- une convergence des témoignages, des fois que M. Nuitdebout parvienne à expliquer à Mme Envie de Fraise qu'elle partirait plus efficacement à la conquête des marchés mondiaux avec du personnel stable, responsable, bien formé, bénéficiant d'une bonne protection sociale, et de contrats de 24 heures, et qu'en tout cas ça vaudrait le coup d'essayer, ne serait-ce qu'une fois. Et des fois qu'elle dise chiche, sait-on jamais.