Un bouton chaton à BFM ?
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 22 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
Des chatons partout. L'internaute belge a de l'humour, et il est discipliné.
Tout au long des interpellations policières de dimanche soir, dans plusieurs endroits de Bruxelles et à Charleroi, non seulement les medias officiels se sont abstenus, à la demande du gouvernement, de livrer des détails sur les opérations en cours, mais les twittos aussi ont inondé Twitter des photos de chatons. Que miaulaient-ils, ces chatons silencieux ? Miaulaient leur protestation, ou leur approbation de la consigne de silence ? Que pensaient-ils au fond d'eux-mêmes de l'état d'urgence ? Toujours est-il que la consigne fut respectée. Les journalistes français, ébahis, en débattaient lundi matin. "Donner des noms de rues, c'est pas vital, mais (se taire) c'est mettre un doigt dans l'engrenage" tweete Johan Hufnagel, numéro deux de Libé.
La chose est passée presque inaperçue, mais on est passé à deux doigts, en France, d'inclure une chatonnisation obligatoire des medias dans la loi d'état d'urgence provisoire. C'était une initiative de plusieurs députés, portée par Sandrine Mazetier, députée PS de Paris, et soutenue par des députés de tous bords, dont Delphine Batho, ex-ministre de l'environnement. On vous en parlait ici, et Mathieu Magnaudeix, journaliste à Mediapart, le racontait en détail sur son blog. Magnaudeix, qui assistait au débat en commission des lois, est l'un des seuls journalistes français, à avoir fait part publiquement de son effroi, à la pensée que des députés ont pensé à rétablir le contrôle de la presse -il y en a peut-être eu quelques autres, je n'ai pas tout écouté non plus. Ce relatif silence en dit long sur ce que la presse serait prête à accepter, elle comme tout le monde, au nom de l'état d'urgence.
Evidemment, s'abstenir de publier des détails géographiques pendant une opération policière, ce n'est pas porter atteinte à la liberté de la presse. Mais après, va-t-on s'abstenir de critiquer cette opération policière si -ça peut se produire- elle est mal menée, s'il y a de la bavure ? Va-t-on s'abstenir de donner la parole aux voisins des appartements perquisitionnés ? Aux avocats des interpellés ? Et puis, comment faire ? Pendant la guerre d'Algérie, le gouvernement pouvait mettre un policier au siège de L'Huma, qui décidait souverainement de ce qui devait être publié ou non (rappel historique ici). Mais va-t-on mettre un policier dans le studio de BFMTV ? Aura-t-il devant lui un bouton "chaton" sur lequel il appuiera dès qu'un détail litigieux lui semblera sur le point d'être livré ?
Dans notre émission de vendredi qui mettait face à face le directeur général de BFMTV, Guillaume Dubois, et une enseignante, Marie-Sandrine Lamoureux, cette dernière a avancé des suggestions qui méritent, à mon sens d'être relevées, et relayées. En demandant en substance à BFMTV de créer sa propre rubrique "décodeurs", ou "désintox", à l'image de ce que font déjà, très bien, Le Monde ou Libé, elle met le doigt sur une réalité : les chaînes d'info continue, dans des circonstances comme celles d'aujourd'hui, ont acquis une telle influence, que l'on ne peut plus les laisser ignorer leur responsabilité sociale. Certes, elles sont en progrès. A la différence de janvier, elles n'ont -quasiment- pas donné de fausses informations, ni mis en danger la sécurité de quiconque, et Dubois avait raison de le rappeler. Mais pourquoi ne pas aller plus loin ? Pourquoi ne pas considérer que la déconstruction des rumeurs, ou des théories conspirationnistes sans cesse renaissantes, font aussi partie de leur rôle social ? On m'objectera que ce sont des entreprises privées, et qu'elles font ce qu'elles veulent. On criera que je veux rétablir le contrôle des medias, que je dénonçais trois paragraphes plus haut. Cela n'a rien à voir. Il ne s'agirait pas d'interdire quoi que ce soit, mais d'élargir le champ de leur action. Ce ne serait évidemment pas simple. Mais rien n'est simple.