Pourquoi Big Brother ne fait pas (vraiment) peur

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 30 commentaires

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Maintenant, les choses sérieuses commencent.

Avec la mobilisation montante, contre le projet de loi renseignement actuellement débattu à l'Assemblée, des poids lourds économiques du Net (on vous le raconte ici), le gouvernement pourrait bien commencer vraiment à vaciller. Tant qu'il ne s'agissait que de la Quadrature du Net, et d'une poignée de journalistes spécialisés, on pouvait les laisser s'égosiller sur Twitter. Mais les patrons des pépites françaises, c'est autre chose, c'est du sérieux, de la croissance, des emplois. Qu'ils menacent de se délocaliser, aucun gouvernement digne de ce nom ne peut y rester indifférent. D'ailleurs, les ministres Axelle Lemaire et Emmanuel Macron se sont précipités pour recevoir les hébergeurs en révolte (la réunion devrait se dérouler aujourd'hui).

Un mouvement de "pigeons" rejoignant les défenseurs des libertés numériques : ce n'est pas la première fois, et c'est tout sauf incohérent. Ce sont les deux tenailles d'un "lobby numérique". Un lobby hétéroclite, dans lequel subsistent sans doute encore les antagonismes de classe hérités du siècle dernier, où l'on se souvient encore vaguement des termes "salariés" et "patron", mais où cette antique division s'estompe devant une valeur partagée : la foi dans l'échange, le plus libre possible, le moins faussé possible, d'informations et de données. Echanger des données sans entraves : crédo dans lequel le politique et l'économique se rejoignent.

Pourquoi, en dépit des défauts manifestes de conception du projet de loi (notamment les insuffisantes procédures de surveillance des surveillants, la radicale éviction des juges du dispositif, et l'opacité de l'algorithme des fameuses "boîtes noires"), en dépit aussi de l'ardeur, sur les sites et les réseaux sociaux, d'une poignée de journalistes spécialisés hyper-vigilants, pourquoi ce projet que même BFMTV qualifie de "Big brother" laisse-t-il l'opinion aussi indifférente ? Avançons une hypothèse : la peur de l'Etat, en ce début de XXIe siècle, est une valeur en baisse. Sur fond de mondialisation et de maxi-évasion fiscale, c'est plutôt une demande d'Etat qui monte. D'Etat protecteur des emplois (Alcatel-Nokia), d'Etat arbitre entre les communautés et les communautarismes belligènes, d'Etat surveillant, aussi, contre la menace djihadiste aussi bien que contre l'impunité, fiscale par exemple, des Géants du Net. Ce n'est qu'une hypothèse.

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