Abdallah d'Arabie, Al-Sissi, et autres amis Charlie
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 137 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
Avec cette affaire grecque, je m'aperçois que j'ai perdu de vue
, quelques heures, mes amis Charlie. Ils vont bien, je vous rassure. Quelques uns étaient rassemblés, le week-end dernier, à Ryad, charmante localité d'Arabie Saoudite, pour présenter leurs condoléances après la mort d'un vrai pote Charlie, le roi Abdallah. Comme tous les défunts, il était évidemment pourri de qualités, dont une éminente : c'était un discret soutien de la cause des femmes, comme l'a affirmé une connaisseuse, la directrice générale du FMI, Christine Lagarde. Le roi Abdallah, 91 ans, était-il vraiment Charlie ? Il n'avait envoyé à la manif parisienne du 11 janvier que le numéro deux du ministère des Affaires etrangères saoudien. C'est mieux que rien. Mais on peut accepter ses excuses, pour cause de problème de santé.
A Ryad, réunis dans l'affliction, il y avait les vrais amis. Il y avait Obama. Il y avait aussi François Hollande, qui ne sait plus où donner de la tête. Il n'a cessé d'être Charlie que pour devenir Syriza. Bref, tout va si vite qu'il n'est pas sûr qu'il ait eu le temps, à Ryad, avec ses amis, d'évoquer le cas d'un autre ami Charlie. C'est un blogueur. Il s'appelle Raif Badawi. Oui, il y a des blogueurs, en Arabie Saoudite. Sans doute pas énormément. Car c'est une activité à risque. Badawi vient d'être condamné à une peine de 1000 coups de fouet, pour différentes raisons, dont une blague assez salée: il a remercié les autorités religieuses du pays d'interdire la célébration de la Saint Valentin, permettant ainsi à tous les Saoudiens d'accéder au paradis. Pas très responsable, cette blague. Surtout qu'il subsiste, dans les tribunaux saoudiens, quelques non Charlie. Ils l'ont condamné, donc, à 1000 coups de fouet. Mais pour plus d'efficacité, par paquets de cinquante. Après chaque paquet, on attend que le dos du condamné ait cicatrisé, et puis on reprend. Le dos du blogueur cicatrisant plus lentement que prévu, la peine est pour l'instant suspendue. Ils sont vraiment rigolos, ces Saoudiens. On comprend que Hollande, qui apprécie l'humour, se soit précipité là-bas.
A Ryad, Hollande a aussi croisé un autre ami : le chef de l'Etat égyptien, le maréchal Al-Sissi. Ils se sont entretenus trois quarts d'heure. Souvenirs souvenirs : quatre ans déjà, depuis le printemps arabe, qui a fait passer l'Egypte de l'ombre de la dictature, à la lumière de la démocratie, un pays où il fait bon vivre, où on respire mieux. Ce qui n'interdit pas de respecter les convenances. Dans sa grande sagesse, et pour observer le deuil de circonstance après la mort du roi Abdallah, le maréchal Al-Sissi a fait interdire en Egypte toutes les manifestations commémorant la révolution. Les Egyptiens ont bien compris. Sauf quelques uns, qui se sont obstinés à vouloir manifester dimanche. Bilan : douze morts. Presque tous des frères musulmans. Je dis presque tous, car il y a aussi le cas de Shaïmaa El Sabbagh, dirigeante d'un petit parti de gauche laïc, qui avait décidé de manifester la veille, justement pour ne pas défiler avec les Frères. L'idée était d'aller fleurir la place Tahrir.
Mais Shaïmaa El Sabbagh n'a pas pu déposer sa couronne de fleurs. Elle est morte avant, tuée par une décharge de chevrotines. Comme des photographes étaient présents, et comme une couronne de fleurs, c'est photogénique, cette mort a échappé à l'anonymat, et "ému les réseaux sociaux", comme on dit. Peut-être ces photos sont-elles parvenues jusqu'à François Hollande. Peut-être se tiendra-t-il informé des suites de l'enquête, que le gouvernement égyptien a assuré qu'il allait diligenter.