Accueillir Snowden ?
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 56 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
Au-delà de tout le reste, la décision que prendra (éventuellement) Hollande d'accorder, ou non, l'asile à Snowden
, restera peut-être comme l'une des plus marquantes de sa présidence. Pas seulement parce que monte la pression (Rocard, Lang, Kouchner, ont signé la pétition de soutien de L'Express, tandis que Valls vient de se déclarer opposé à l'asile). Mais parce que l'affaire Snowden se place au carrefour des questions essentielles de l'époque. La fabrication de l'Histoire étant ce qu'elle est, il n'est pas impossible que, dans un siècle, on se souvienne vaguement de Hollande et d'Obama comme des gars qui étaient au pouvoir à l'époque de Snowden (tiens, au débotté, qui était le président français à l'époque de Che Guevara ?) Bref, c'est du lourd.
Disons-le en préambule, au risque de déplaire aux snowdolâtres radicaux : les Etats ont droit au secret. Ils ont droit au secret des négociations diplomatiques, par exemple pour éviter qu'une crise ne dégénère en guerre. Ils ont droit à l'espionnage, et à tout ce qui s'ensuit, pour se protéger de menées hostiles. Si on leur interdit par principe toute action secrète, autant leur demander de se saborder, et de laisser l'avenir du monde aux bons soins des multinationales et des Corleone de tous les pays. Ce droit n'est évidemment pas absolu. Il est nécessaire que les Etats rendent des comptes, sous la forme appropriée, par exemple devant le Parlement élu.
A l'opposé, les citoyens ont droit à l'information. Qui peut sérieusement prétendre que la masse des révélations Snowden sur la NSA n'est d'aucun intérêt ? Comment ne pas être reconnaissant à Snowden d'avoir levé le voile sur les relations troubles entre la NSA et les géants du Net, et sur la faille béante entre les proclamations du gouvernement américain et la réalité de son tentaculaire appareil d'espionnage ?
C'est au périlleux carrefour de ces deux droits, exposé à toutes les balles perdues, sous le feu de tous les snipers, que se trouve aujourd'hui Edward Snowden. Son personnage mérite un immense respect, et sa personne mérite la protection. Mais Snowden n'a pas un droit absolu à l'asile en France. La décision de lui accorder, ou non, l'asile, n'est pas seulement une décision humanitaire. C'est aussi une décision diplomatico-politique. En clair, ce serait un gigantesque bras d'honneur de Hollande à Obama. Ce peut être un bras d'honneur salutaire, nécessaire, stratégiquement calculé. La France peut juger utile qu'Obama se sente sous la menace de ce bras d'honneur, par exemple si elle voulait (c'est une hypothèse d'école) tenter de protéger une banque française menacée par la Justice US. Il peut y avoir bien d'autres raisons, inconnues par définition d'un humble matinaute, de faire ce bras d'honneur, ou d'en menacer Obama. Il faut simplement savoir que c'est un bras d'honneur.
Humanitaire, diplomatico-politique ? Si elle n'était que celà, cette décision, ce serait encore trop simple. Si légitimes soient-elles, la décision à prendre devrait encore s'élever au-dessus de toutes ces considérations. Au-dessus de tout celà, elle devrait être surtout une décision de principe, une proclamation visionnaire, fondatrice, un geste historique de confiance dans l'indispensable refondation, dans l'univers numérique, du rapport entre secret d'Etat et transparence. En clair, l'essentiel, et le plus difficile, n'est pas de proposer à Snowden de l'accueillir. C'est d'expliquer clairement pourquoi. Bonne chance, François Hollande !