Drahi, sa première BA pour la presse
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 25 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
Donc, il s'appelle Drahi. Patrick Drahi.
Propriétaire de Numéricable, il est à la tête de la 14e fortune française. Comme l'a révélé Mediapart, c'est lui qui a permis à Libé de passer le cap du mois d'avril, en prêtant en douce à l'actionnaire de référence en titre, Bruno Ledoux, les 4 millions nécessaires. Commme le disent les salariés de Libé, dans leur désormais culte chronique quotidienne, c'est lui l'investisseur masqué, dont le nom avait commencé à filtrer à la fin de la semaine dernière. Au moins, il n'est pas resté masqué très longtemps.
Ils sont étranges, ces milliardaires. Pourquoi le prospère Franco-israélien investit-il quelques cacahuètes dans Libération ? Mystère. De ce que l'on connait de sa biographie de roi du câblage, on peine à déduire une vision décoiffante de l'information, ou un désir inconscient de créer "le Flore du XXIe siècle". Même par rapport à Israël, il s'est jusqu'ici davantage signalé par un rôle d'investisseur (il câble deux foyers israéliens sur trois) que par un soutien politique militant public. Bref, aucune vision perceptible de la presse dont jusqu'ici il s'est toujours prudemment tenu à l'écart.
Alors ? La première explication, celle qui revient sous la plume de mes confrères, c'est donc qu'il souhaite banalement "entrer dans l'establishment". Ayant observé comment Niel, précisément, est passé dans la perception publique de rescapé des peep-shows à gourou du millénaire en rachetant Le Monde (avant l'Obs), Drahi aurait décidé de suivre l'exemple. A l'idée de se retrouver face à Niel et Bouygues quand il sera à la tête de SFR, il s'efforcerait de tenter de faire jeu égal dans la prochaine bataille d'oligarques des télécoms, en rachetant ce qui trainait sur la table à ce moment-là : Libé.
C'est assez surprenant : dans le pugilat pour le rachat de SFR, Drahi l'a précisément emporté contre Bouygues, alors qu'il avait tout l'establishment contre lui, Montebourg en tête. Actionnaire de Libé, surtout s'il s'avère qu'il y devient majoritaire, il va voir les projecteurs se tourner mécaniquement vers lui, son fonds d'investissement de droit luxembourgeois, sa holding personnelle à Guernesey, sa résidence à Genève, son goût pour le rachat par endettement (LBO), et son alliance avec le fonds américain Carlyle, "mis sur orbite en 1989 par un ancien dirigeant de la CIA, et piloté pendant un moment par George Bush père". D'où tirai-je ces précisions ? D'un portrait de Drahi, pas spécialement sympathique, publié le 14 mars dernier par Libé. Le Luxembourg, Guernesey, les LBO, Carlyle, la CIA : au-delà des cacahuètes, la première BA de Drahi pour la presse indépendante pourrait bien consister à renouveler ses sujets d'investigation.