Justice presto

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 203 commentaires

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Transparence transparence : vous voulez connaître la première pensée

, la toute première, du matinaute, découvrant aux petites heures sur Twitter la révélation par Closer d'une liaison entre François Hollande et la comédienne Julie Gayet ? Avant même de se demander ce que montrent vraiment les photos (pas grand chose, un gars, casque sur la tête, sortant d'un immeuble) ; avant de savourer comme elle le mérite l'habituelle hypocrisie de Closer, qui assure traiter le sujet car il concerne "la sécurité du chef de l'Etat" ; avant même de s'arrêter sur ces mots de Closer : le nid d'amour se trouve "dans une rue qui jouxte l'Elysée" (s'agit-il d'un local dépendant de l'Elysée ?) ; avant même de se poser la question du maintien à l'Elysée d'une équipe dédiée à Valérie Trierweiler (à quel titre, désormais ?) Avant de se poser toutes ces questions, qui vont occuper vos nouveaux et anciens médias préférés dans les prochaines heures, cette première pensée est celle-ci : enfin ! Enfin la conversation nationale va s'intéresser à autre chose qu'à la quenelle.

Paradoxe : l'affaire Dieudonné va être éclipsée juste au moment où, avec l'arrêt du Conseil d'Etat interdisant le spectacle de Nantes, elle prend une dimension nouvelle. Même si pas grand monde en France ne mesure l'importance exacte du Conseil d'Etat, l'asservissement de "la plus haute juridiction administrative" au gouvernement est une étape noire pour le droit administratif français et, plus largement, pour les libertés publiques. Ce matin sur France Inter, un avocat défendait l'indépendance du Conseil d'Etat en évoquant "l'arrêt Canal". L'arrêt Canal (rien à voir avec Canal+) est une des heures de gloire de l'indépendance de la justice administrative française. En substance, en 1962, à la fin de la guerre d'Algérie, le Conseil d'Etat s'était dressé contre de Gaulle, en annulant la création d'une cour militaire de justice, chargée de juger les auteurs de crimes de l'OAS. Cet arrêt avait fort mécontenté le chef de l'Etat de l'époque.

Les juristes français en sont tellement fiers, de l'arrêt Canal, qu'il est généralement enseigné aux étudiants en droit dès le premier trimestre de la première année, manière de bien montrer que l'indépendance de la Justice administrative française, hein, attention, on est quand même les champions. Sans entrer dans la controverse juridique entre le Tribunal administratif de Nantes qui considérait que les saillies antisémites ne constituaient pas le coeur du spectacle de Dieudonné, et le Conseil d'Etat qui a jugé l'inverse quelques heures plus tard sans avoir eu le temps matériel d'analyser le jugement de Nantes, et en l'absence d'un des avocats de Diouedonné qui se trouvait à Nantes, c'est le simple timing, qui condamne le Conseil d'Etat. Ce recours de Valls dans les minutes suivant le jugement de Nantes, et cette précipitation des juristes parisiens à rendre l'arrêt attendu avant les journaux de 20 Heures, et le début du spectacle : on ne décide pas de la liberté d'expression, en moins de temps qu'il n'en faut pour livrer une pizza quatre fromages.

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